Notre revue musicale de l'année se poursuit avec le top 10 musiques du monde d'Alain Brunet.

1. Robert Sadin

Art of Love - Music of Machaut

Deutsche Grammophon

Compositeur et poète médiéval, Guillaume de Machaut est sporadiquement redécouvert par des musiciens de cultures et d'horizons différents. Sous la baguette de Robert Sadin (chef d'orchestre, arrangeur, directeur artistique et réalisateur ayant travaillé dans plusieurs territoires de la musique moderne) sa musique ancienne devient musique du monde car elle interpelle des musiciens aussi variés que Milton Nascimento, Cyro Baptista, Brad Mehldau, Romero Lubambo, Hassan Hakmoun, Madeleine Peyroux, Lionel Loueke, Seamus Blake, Matt Shulman, on en passe. Il suffit de lire ces noms de famille pour déduire à la mosaïque culturelle et à l'alignement d'étoiles. On ne se lasse pas de cet Art of Love.

2. El Guincho

Pop Negro

Young Turks

L'Espagnol Pablo Díaz-Reixa, alias El Guincho, pourrait être considéré comme le simple équivalent hispanophone de créateurs pop issus de l'ère numérique, on pense entre autres à Animal Collective. Le lien esthétique est fondé sur l'utilisation des mêmes machines dont certains effets de textures sont directement comparables. On ne peut conclure à la pâle copie pour autant. El Guincho étale dans ce Pop Negro une connaissance certaine des musiques tropicales modernes et latino-américaines. On peut se sentir ailleurs dans le monde à cette écoute, pour la langue, pour les cultures ibères et latino-américaines. Et on garde cette impression forte: notre planète ne cesse de rapetisser.

3. Awadi

Présidents d'Afrique

Péripheria/Sélect

Artiste fondateur du hip-hop ouest-africain (Positive Black Soul), le rappeur sénégalais Didier Awadi a créé Présidents d'Afrique, au terme d'un demi-siècle d'indépendances africaines. Les extraits de discours présidentiels africains (sans compter Obama et Martin Luther King) deviennent ici prétextes à un engagement panafricain toujours crucial en 2010. Les traditions, les styles modernes, la modernité hip-hop, le plurilinguisme africain, les langues coloniales, la créolophonie. Voilà le résultat d'un immense travail de terrain, réalisé au terme d'une recherche étalée sur 45 pays de l'Afrique et sa diaspora.

4. Tiken Jah Fakoly

African Revolution

Barclay/Universal

Le roots reggae de l'Ivoirien Tiken Jah Fakoly souffrait de vieillissement, de redondance. Il réussit ici sa transition vers un reggae-pop de qualité, à la fois moderne dans ses formes et beaucoup plus proche de ses racines ouest-africaines. Tous les ingrédients de la quête y sont, toutes les cultures présentes dans la trajectoire du chanteur se fondent en un seul album. On se dit alors qu'il était grand temps que le reggae africain assume ses traditions, bien au-delà de ses emprunts jamaïcains. Ainsi, la lutherie acoustique que préconise Tiken Jah Fakoly confère à cette musique populaire une fraîcheur renouvelée. Le message, lui, reste extrêmement simple, assimilable pour tous les citoyens d'Afrique. Qui peut le reprocher à Tiken Jah, dont la patrie nage actuellement dans la confusion?

5. Afrocubism

Afrocubism

World Circuit

En 2010, l'album qui devait initialement être le premier projet d'album du Buena Vista Social Club a vu le jour. L'amalgame réunit un aréopage de virtuoses maliens des musiques traditionnelles (dont Toumani Diabaté à la kora) et de solides musiciens cubains associés aux vieilles musiques populaires de l'île (dont Eliades Ochoa). Malgré le déséquilibre des substances fusionnées, malgré la proéminence de la substance malienne sur la cubaine, on ne peut que conclure positivement. Voilà une rencontre belle et d'autant plus chaleureuse. Bien que décevante sur scène à Montréal (début de tournée, spectacle encore en rodage), la matière de cet album demeure une très belle réussite en studio.

6. Hindi Zahra

Handmade

Blue Note

Berbère marocaine transplantée à Paris depuis l'adolescence, Hindi Zahra chante surtout en anglais. Elle le fait parfois en langue berbère. Parce que les peuples des régions sahariennes ont vu la naissance du blues il y a plusieurs siècles, parce que le blues est ici ornementé de rock et de traditions marocaines, lointaines fragrances gnawis, touaregs, sahariennes, et autres métissages d'Afrique septentrionale, cette auteure-compositrice nous emmène ailleurs tout en suggérant des balises connues. À l'instar de Yael Naïm, ou la regrettée Lhasa, Hindi Zahra s'affiche comme une chanteuse d'aujourd'hui, de surcroît une femme d'aujourd'hui: libre, mondiale, hybride... et pas exactement occidentale.

7. Grupo Fantasma

El Existential

Nat Geo Music

Originaire d'Austin, au Texas, ce Grupo Fantasma est tout simplement explosif. La formation mêle avantageusement des éléments de funk, de hip-hop, de rock santanesque, d'afrobeat, de rumba et salsa cubano-portoricaines, de jazz latin, de cumbia, de métissages afro-péruviens et autres psychédélismes. Le véhicule rassemble une dizaine de musiciens chevronnés: guitares, trompette, sax baryton, trombone, congas, batterie. El Existential, cinquième enregistrement de la formation, est une très bonne entrée en matière.

8. Natacha Atlas

Mountqualiba

Six Degrees

On la croyait un peu dépassée, ç'aurait été une erreur de ne pas écouter cet opus avec attention. Encore en 2010, Natacha Atlas est parmi les meilleurs artistes à se trouver au confluent des traditions sémites du Moyen-Orient et des pratiques musicales de l'Occident. De concert avec le violoniste, réalisateur et compositeur Samy Bishai, elle a su renouveler ses propositions avec ce faste et soyeux Mounqaliba, certes l'un des meilleurs albums de sa carrière solo. Voilà une authentique contribution dans ce long chemin qui nous permettra peut-être un jour d'atteindre l'équilibre Est-Ouest.

9. DJ RKK

Elektropik #1 (compilation)

Naïve

Non sans rappeler les sélections world du DG anglais Gilles Peterson (dont l'excellente Havana Cultura), celle de Rémi Kolpa Kopul propose un répertoire de grande qualité, nettement au-delà de l'évidence touristique. Ainsi, ce premier tome d'Elektropik réunit des artistes ou groupes de New York, Buenos Aires, La Havane, mais surtout Recife, Salvador de Bahia et Rio de Janeiro. Du Brésil, il nous ramène entre autres Lenine, Marcelinho da Lua et autres Zé Brown, tous générateurs de la nouvelle scène musicale brasileira. Sauf un extrait de Gotan Project, une rencontre Bill Laswell/Jean Touitou et une réapparition de Zuco 103 (groupe hollandais avec chanteuse brésilienne), les fans de musiques du monde y découvriront beaucoup de matière inédite... et idéale pour le plancher de danse.

10. Luisa Maita

Lero Lero

Cumbancha

Les premières écoutes de cet album ne soulèvent pas grand-chose de différent de ce qui se propose au chapitre de la nouvelle musica popular brasileira, on a tôt fait de l'associer à des productions typiques de la mouvance paulista des 10 dernières années, mais... attention à ces premières impressions. Au fil des écoutes, on finit par se laisser entraîner sur un chemin parsemé de petites surprises. Si la guitare et la basse constituent l'épine dorsale de ce Lero Lero, si la voix énigmatique de Luisa Maita (parfois douce, évanescente, soudainement puissante) en est le coeur, une foule d'ornements et sédiments électros mènent à choisir cet album parmi les meilleurs de la cuvée world en 2010.