C'est ici, en plein milieu de la ville, au coeur de la Main cosmopolite, que se font et se défont les modes. C'est ici que naissent les tendances culinaires. Voici un petit guide du boulevard : cinq arrêts et ses restos modèles.

Le boulevard Saint-Laurent qui séparait autrefois les deux communautés culturelles de notre ville, l'anglaise et la française, agit maintenant comme un interstice où les deux se rencontrent et se mêlent parfois par affaires, souvent par amour, mais rarement par hasard.

Depuis le début du XIXe siècle, nous explique Roger Gratton dans son ouvrage Pignon sur rue,  le « chemin » Saint-Laurent était déjà occupé par des communautés francophones, écossaises, irlandaises, juives, et allemandes dont les lieux de culte étaient installés de part et d'autre de la Main. Normal qu'on y trouve des aliments de toutes ces cultures bien que la population de la ville à cette époque ne dépassait pas 100 000 habitants.

Autrefois, à l'angle des boulevards Saint-Laurent et René-Lévesque, existait un marché public dont les installations n'ont été démolies qu'en 1963. Il était fréquenté par les habitants du quartier et alimenté par les fermiers des environs, soit tout le reste de la ville au nord de la rue Sainte-Catherine et à l'est de la rue Saint-Denis. Les immigrants chinois et italiens, qui ont commencé à s'installer dans le quartier, ne sont arrivés que vers 1880. Depuis, leur empreinte sur le chemin devenu boulevard, est la plus visible au-delà de celle de la communauté française.

Le destin cosmopolite du boulevard était déjà tracé. Puis, les marchés se sont métamorphosés en supermarchés et les cantines en restaurants. À mesure qu'il s'avançait vers le nord, traçant l'ébauche de la future cité, le boulevard est devenu l'artère où la concentration de bons restaurants est l'une des plus importantes en ville.

I- Quartier chinois

Aujourd'hui, le quartier n'est plus exclusivement chinois. On pourrait le rebaptiser « Vietnamtown » tant cette communauté a pris de l'ampleur et imposé son trait d'union entre l'Asie complexe et insondable et l'Occident, puisque les Vietnamiens ont été pendant un peu moins de 100 ans sous l'emprise d'une France coloniale pas trop portée sur le métissage culturel.

Les Vietnamiens ont vite appris les us de leurs colons, surtout en gastronomie, pour leur bonheur ou leur malheur, c'est selon. En tout cas, ils se sont réellement distingués de leurs voisins (et ennemis traditionnels) chinois en ouvrant des restaurants d'assez grande qualité où les mets sont authentiques et proposés à des prix défiant toute compétition. Pour les Chinois dont la présence dans ce tout petit quartier est presque centenaire, il aura fallu attendre l'arrivée des Hongkongais à la fin des années 80 pour insuffler un peu de nouveauté à la cuisine locale, et ensuite aux Taiwanais pour nous faire découvrir le thé aux bulles ou aux perles (bubble tea) et les fondues.

RESTO MODÈLE : Le Cristal de Saigon, 1068, boulevard Saint-Laurent. L'un des premiers restaurants vietnamiens de Montréal, ce bistro tenu par des Sino-Viets depuis plus de 25 ans propose encore et toujours des spécialités de Saigon dont une soupe aux nouilles aux oeufs (mien) typique de cette communauté. De plus, on y sert encore les meilleurs rouleaux impériaux en ville.

2- Au nord de Sherbrooke

Les marteaux piqueurs se sont tus, la vie semble redevenue normale au nord de la rue Sherbrooke dans ce lieu des « victimes de la mode ». Les belles personnes sont aussi revenues bambocher dans les bars et les restaurants chics et chers, prêts à se faire voir... et arnaquer aussi. Pourtant, ce coin de la Main est tout aussi intéressant que les autres segments du boulevard, non seulement parce qu'il est vivant et frénétique, mais aussi parce que toutes les cultures continuent de s'y mêler avec jubilation. Il faut venir y passer quelques heures le samedi soir après 23 heures pour s'en rendre compte. Peut-être le seul coin de la ville où l'on sent un peu le pouls de l'East village new-yorkais ou celui du Marais parisien.

RESTO MODÈLE : La Porte, 3627, boulevard Saint-Laurent. Voilà l'une des rares maisons sérieuses de ce segment de la Main. Cuisine sophistiquée, alléchante et rigoureusement pensée et produite, dans un style franco-urbain à la fois tonique et léger. Service très pro. On fait des miracles avec le poisson ici, laissez vous aller dans le répertoire maritime.

3- Au nord de l'avenue des Pins



Un secteur (encore et toujours) en réparation. Or, malgré le bruit, la poussière, les travaux qui n'en finissent plus, les commerces de toutes les patries du monde continuent de marquer le territoire : chiliens, hongrois, juifs roumains, portugais, libanais, vietnamiens, espagnols. L'ambiance diffère complètement de celle de leurs voisins plus au sud. Ici, pas de paillettes ni talons hauts, mais des jeans troués, des foulards indiens, des hijabs et beaucoup de mixité. Et surtout beaucoup d'étudiants dont c'est le terrain de jeu les week-ends. Autour des commerces quasi centenaire de viande, de saucisses, et des mégapharmacies qui illuminent la nuit, vous trouverez une excellente pizzeria, un glacier formidable, des grilladeries portugaises, un thaï, quelques cafés, bref les Nations unies sur la Main.

RESTOS MODÈLES : Schwartz Delicatessen, 3895, boulevard Saint-Laurent. LE smoked meat en ville. Peut-être le dernier à résister à l'industrialisation de cette spécialité des Juifs roumains, un mythe, un lieu concept, un point central sur la carte gastronomique de la ville, Schwartz, maintenant entre les mains de Portugais, n'est peut-être rien d'autre qu'un autre resto rapide servant de la nourriture au rabais, présentée par des serveurs perpétuellement de mauvaise humeur. Mais à en juger par la queue qui se forme là depuis des années, attendant bien patiemment une table et un Cherry coke, il y a certainement plus que n'aperçoit l'oeil : il y a de très bons sandwichs de viande fumée comme on les faisait quand Mordecai Richler écrivait ses premiers romans à la fin des années 50.

Le Réservoir, 9, avenue Duluth Est. À deux pas de Saint-Laurent, ce resto-bar qui pourrait bien incarner l'avenir gourmand de notre ville : un lieu où la cuisine ET la faune sont à la fois raffinées, modernes, très très cosmopolites et branchées. Une ambiance aussi vaguement « trash ».

Café central portugais, 4051, rue Saint-Dominique. Un peu plus bas sur l'avenue Duluth, mais dont l'entrée se situe rue Saint-Dominique, on trouve cet ambassadeur du passé. Celui des immigrants portugais qui recréent un peu de leur ambiance perdue et la maintiennent dans ce café nostalgique. L'endroit est surtout fréquenté par des hommes (à moustache ?) qui n'ont pas peur de hurler devant l'écran de télé lorsque le Portugal perd un match de foot. Hautement émotif, ambiance virile garantie et café bien corsé

4- Entre Mont-Royal et Bernard



Au nord du boulevard, les choses se corsent et se modernisent. Les commerces, les théâtres, les restaurants et les condos de luxe se succèdent. Aucune partie du boulevard n'a subi autant de changements depuis 100 ans. Entre l'avenue du Mont-Royal et la rue Bernard, deux kilomètres nous font passer d'une ambiance glauque de jour à une ambiance décidément pépère de nuit. Pourtant, plusieurs excellents restaurants de toutes les cultures s'y sont établis. Rappelez-vous que l'on y trouvait les lieux de branchitude les plus chauds au début des années 80... Depuis... zzz !

RESTOS MODÈLES : des restos, il n'y en a pas des tonnes dans ce coin. Les meilleurs sont italiens, chinois et français. 

Bu, 5245, boulevard Saint-Laurent. Premier de la vague des bars à vin à avoir laissé une empreinte réelle. Choix de vins extraordinaire, la plupart italiens et cuisine de trattoria de luxe, à des prix d'amis. Ambiance géniale les week-ends, pizzas après 10 h, et célébration de la cinquième année d'existence. Bu est une destination plus qu'un lieu.

Soy, 5258, boulevard Saint-Laurent. Si nous devions choisir un resto chinois en ville, il serait hors du Quartier chinois et ce serait celui-ci où la cuisine dépasse les frontières classiques d'une Chine renfermée sur elle-même. Ici, cuisine rime avec diversité, ouverture, raffinement et surprise.

5- Petite Italie



Depuis qu'on a réaménagé le parc de la Petite Italie au coin de la rue Saint-Zotique et installé une « arche » de granit, le quartier rêve de redevenir un quartier fortement identifié à l'histoire de l'immigration italienne. Aussi, depuis une vingtaine d'années, les commerces se rapprochent de l'Italie contemporaine. Fringues, bars, cafés, salons de coiffure, souliers, spécialistes de survêtements de sports - surtout de soccer ou de Ferrari - quelques grandes épiceries et glaciers, la Petite Italie jouit d'une renaissance qu'elle doit au dynamisme de sa population.

RESTO MODÈLE : Café International, 6714, boulevard Saint-Laurent. Ce Café remodelé à la manière romaine ou florentine, avec marbre, télé plasma, menus de pastas et de pizzas et des shakerettis - ces cafés glacés qui vous pétrifient la langue en même temps qu'ils vous fouettent les sens - a tout d'un vrai caffè. Pour l'apéro, le lunch, la soirée de foot ou le brunch familial. Un endroit qu'on adore.

COMMERCE MODÈLE : La Guilde culinaire, 6381, boulevard Saint-Laurent. Une mention spéciale doit être accordée à ce tout nouveau (et rutilant) commerce installé quelques rues au sud de la Petite Italie. À la fois boutique d'objets de cuisine, librairie et atelier de cours haut de gamme, la Guilde comme elle s'est baptisée, a comme but d'initier les amateurs à une cuisine de haut niveau dans un local aménagé comme un laboratoire.