De 1996 à avril 2004, Francesco Del Balso, membre connu du clan Rizzuto, a dépensé 8,6 millions au casino d'État de l'île Notre-Dame. De cette somme, 7,6 millions ont été échangés au cours des seules années 2001, 2002 et 2003. En retour, le jeune mafioso a reçu des chèques du Casino pour un total de 2,5 millions. À ses yeux, révèle l'enquête, c'était un moyen de légitimer ses revenus illicites, advenant que le fisc décide de mettre son nez dans ses affaires.

Dans les registres du Casino, Del Balso, 36 ans, qui a un casier judiciaire pour agression armée, apparaît sous la rubrique des «joueurs à vie». Il porte le numéro 71 351. Jusqu'à son arrestation avant les Fêtes, il fréquentait les salons VIP, avec tout ce que cela comportait d'avantages et de prestige. D'après l'enquête policière, il flambait aussi beaucoup d'argent dans le casino d'un grand hôtel des Bahamas. Combien a-t-il perdu et combien a-t-il blanchi durant toutes ces années ? Les juricomptables de la GRC ne peuvent le dire avec exactitude pour l'instant.

Des vérifications sont toujours en cours, précise-t-on dans la déclaration sous serment récemment déposée en Cour du Québec.

Dans des conversations téléphoniques interceptées par la police, Del Balso parle régulièrement de ses gains et de ses pertes au Casino de Montréal. Le 16 janvier 2004, il confie à son acolyte, Lorenzo Giordano, avoir perdu 3 millions, «mais avoir aussi gagné 600 000 $ à la roulette avec six ou huit différentes personnes». Alors que les deux hommes discutent de leurs problèmes fiscaux, Giordano (il est toujours en cabale) lui déconseille de justifier tous ses revenus «à partir simplement du Casino».

Joueur impénitent, Del Balso pouvait parier plusieurs dizaines de milliers de dollars chaque fois qu'il mettait les pieds au Casino. Il y restait parfois quelques heures seulement. Il achetait ses jetons à la table de jeu ou au comptoir de change avec des billets de 20, 50, 100 et même 1000 $. Il n'était pas rare qu'il utilise des jetons de 5000 $ pour une mise. Afin de ne pas attirer l'attention, il confiait souvent à des intermédiaires le soin de changer son argent.

Nouvelle stratégie

Après l'entrée en vigueur de la loi obligeant les institutions financières et les casinos à déclarer les transactions de 10 000 $ et plus, Del Balso a modifié sa stratégie à la toute fin de 2003. Il s'est alors vu demander son identité pour obtenir le remboursement en espèces de 100 000 $ de jetons. Aigri, il s'est contenté d'empocher 9900 $ et a quitté le Casino avec les 91 900 $ en jetons.

Selon des employés du Casino, le jeune caïd s'est par la suite arrangé pour «fractionner les achats de jetons en dessous de la limite de 10 000 $». Souvent, il en acquérait lui-même pour 9990 $, et il en faisait acheter par d'autres. Il utilisait aussi des tiers quand il en voulait plus de 10 000 $. Cela lui évitait d'avoir à donner son identité au caissier. Il avait aussi plein de jetons en réserve dans un petit bar de Saint-Léonard. Un ami les lui livrait dans le stationnement du Casino.

Del Balso a été filmé à maintes reprises par les caméras du Casino en train de remettre des liasses de billets de 100 $ à des connaissances, en échange de jetons. À une occasion, un enquêteur du Casino l'a avisé qu'il ne pourrait plus jouer s'il répétait ce manège. Del Balso a continué, mais de façon plus discrète. Il a repris son petit jeu lors d'une visite subséquente. Une femme, notamment, misait pour lui.

Depuis janvier 2000, Del Balso, que la police accuse d'avoir fait sa fortune avec les prises de paris clandestins et le trafic de drogue, est souvent rentré chez lui avec d'impressionnants chèques de 100 000 $, 150 000 $ et même 200 000 $ remis par le Casino.

La grande majorité de ces chèques ont abouti dans le compte de sa femme, à la Caisse populaire de la Rive, à Montréal-Nord. Quelque 450 000 $ ont été convertis en placements au nom de leurs trois garçons, âgés de 11, 5 et 2 ans. Flairant le blanchiment d'argent, des employés de la banque ont signalé ces «transactions douteuses» dès février 2001.

Joint par La Presse, le porte-parole de Loto-Québec, Jean-Pierre Roy, a simplement déclaré que la direction du Casino avait collaboré à l'enquête de la GRC, et qu'il ne pouvait en dire davantage puisque la cause était devant les tribunaux.

Interrogé sur ce qu'il advient quand les employés du Casino soupçonnent un joueur de blanchir de l'argent, il a répondu : «Quand un client achète plus de 10 000 $ de jetons, on le rapporte à la CANAFE (l'organisme fédéral chargé d'analyser les transactions douteuses), comme la loi nous y oblige. Pour le reste, les enquêteurs du Casino savent quoi faire.»

L'enquête policière démontre que le principal associé de Del Balso, Lorenzo Giordano, 43 ans, est un autre habitué du Casino. Selon ses propos, il lui aurait fallu être un «professionnel du jeu» afin de pouvoir rapporter ses gains et ses pertes à l'impôt.

Accusés dans le même dossier de gangstérisme, Giuseppe Torre, 35 ans, est aussi décrit comme un gros joueur. Il gage fort au poker et il a déjà flambé jusqu'à 5000 $ aux cartes. Il parie beaucoup d'argent sur les parties de football américain. Une semaine il dit gagner 5 ou 10 000 $ et l'autre, il en perd 15 000 $.

D'ailleurs, le fait que Torre ne travaille pas et passe le gros de son temps dans les bars, de jour comme de soir, exaspère énormément sa femme. «Il n'est jamais à la maison. C'est un animal. Je vais me faire un beau cadeau d'anniversaire en trouvant un avocat pour divorcer», s'est plaint Polisena Delle Donne, peu avant l'arrestation de son mari.

Torre cherche à la consoler en lui rappelant qu'elle a «tout ce qu'elle veut dans la vie». En l'occurrence, grosse maison, voitures de luxe, villa au Mexique, voyages en première classe, bijoux de grande valeur, vêtements griffés, cartes de crédit ouvertes et une gouvernante pour prendre soin des trois jeunes enfants.