Les journaux tels que nous les connaissons sont nés avec la télégraphie sans fil et la publicité de masse, il y a un peu plus de 100 ans. Avant, ce n'étaient que de simples organes de propagande politique. Et après?

Ce jour-là, La Presse annonçait une vente de «taffetas glacé à deux tons pour 1,50$ la verge». D'autres publicités vantaient les vertus des corsets dotés de toutes nouvelles bandelettes élastiques. Celles du thé des Carmélites qui fait maigrir. Et la saveur des cigarettes Sweet Caporal, «la forme la plus pure sous laquelle le tabac peut être fumé».

Mais ce même jour, le vendredi 15 avril 1912, l'attention des lecteurs était surtout captée par la principale nouvelle parue à la une du quotidien: «Le Titanic est sur un abîme.»

«À 10h25, la nuit dernière, le nouveau paquebot était signalé comme étant dans la plus grande détresse», relatait l'article agrémenté de diagrammes et d'esquisses du Titanic.

Peu après minuit, lit-on quelques paragraphes plus loin, le télégraphiste du bateau a envoyé ce «marconigramme» de détresse : «La proue s'enfonce.»

Avec ses articles empilés les uns par-dessus les autres, ses publicités qui s'entremêlent aux articles et ses petits dessins qui ajoutent quelques infimes éléments visuels, La Presse de 1912 ne ressemble en rien au journal que vous tenez entre vos mains. Pourtant, la rapidité avec laquelle la catastrophe du Titanic a été rapportée dès le lendemain du naufrage est parfaitement moderne.

À peine 15 ans plus tôt, la nouvelle aurait mis des semaines à parvenir à Montréal. Mais l'avènement de la télégraphie sans fil (TSF) a chamboulé le monde de l'information. Et avec l'antenne de réception que le propriétaire de La Presse, Trefflé Berthiaume, a fait installer dès 1904 sur le toit du journal, Montréal est à l'avant-garde de cette révolution.

La TSF, c'est la marotte du début du XXe siècle. Des écoles mettent sur pied des cours de télégraphie sans fil. Et de nombreux Québécois installent un récepteur chez eux, à la maison. «Plusieurs ont suivi directement, de cette façon, le naufrage du Titanic, puis la Première Guerre mondiale», raconte Pierre Pagé, spécialiste de l'histoire de la radio à l'Université du Québec à Montréal.

Une révolution

Mais l'avènement de la télégraphie sans fil a fait plus qu'accélérer le rythme de la transmission des nouvelles. C'était une véritable révolution qui a propulsé les journaux, et les médias d'information en général, dans une ère nouvelle.

«La télégraphie sans fil a eu un impact aussi fort que celui de l'internet», dit Claude Martin, professeur au département des communications à l'Université de Montréal. Sauf qu'à l'époque, cet impact a servi de véritable rampe de lancement aux journaux d'information. Et que c'est plutôt le contraire qui arrive avec la révolution de l'internet.

Gros plan sur le contexte de l'époque: il y a 100 ans, les progrès technologiques ont créé un terreau favorable aux médias de masse. L'industrialisation du XIXe siècle avait permis de produire en série des objets de consommation courante, rappelle Josette Brun, spécialiste de l'histoire des médias à l'Université Laval. Et ces corsets, ces thés miraculeux et ce tabac ultra pur, il fallait bien leur trouver un marché!

«Les annonceurs voulaient rejoindre le plus d'acheteurs possible, et les journaux leur en ont donné les moyens», note Josette Brun.

C'est ce qui a permis aux journaux, qui avaient longtemps servi d'organes de propagande au service des partis politiques, de se transformer en médias de masse. Du coup, la presse imprimée est devenue le principal moyen d'information. «Au début des années 20, tous les gens qui savaient lire étaient abonnés à un journal», souligne Claude Martin.

Et ce qui a pavé la voie à cette mutation, c'est l'argent de la publicité qui s'étale sur des pages et des pages, avec ces annonces de bas en fil de soie, de complet deux pièces à 4,95$ et de produits hygiéniques qui permettent d'éviter «une haleine de denture»...

L'information instantanée

L'arrivée de la radio, au début des années 1920, fait craindre la disparition des quotidiens. Dès la campagne électorale fédérale de 1925, la radio suit les candidats et diffuse les assemblées de cuisine. CKAC diffuse son premier bulletin d'information, Les nouvelles de chez nous, en 1938. Ce bulletin devient une sorte de rendez-vous collectif des Québécois, tous les jours à l'heure du souper, explique Pierre Pagé.

À l'époque, la radio est le média instantané - elle annonce le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale dans l'heure qui suit l'attaque de l'aviation allemande contre la Pologne. Mais les journaux ont l'avantage de l'espace. La radio annonce une nouvelle, le journal la publie in extenso le lendemain. Les deux se complètent bien. Et les fabricants de bidules de toutes sortes ont toujours besoin des journaux pour rejoindre les acheteurs.

«Ce modèle économique marchait bien, note Claude Beauregard, professeur à l'École des médias de l'UQAM. Les journaux ne coûtaient pas cher, la publicité permettait de les faire vivre, et les journalistes, les annonceurs et les lecteurs étaient contents.»

Et c'est l'arrivée de l'internet qui, pour la première fois depuis un siècle, met ce modèle en péril. Les annonceurs quittent les journaux. Grâce à la technologie qui leur permet de cibler directement leurs clients, ils ont de moins en moins besoin des médias de masse. La publicité se fragmente, et la presse imprimée écope.

«Si le modèle économique qui a fait vivre les journaux pendant 100 ans ne fonctionne plus, qui donc va demander des comptes au gouvernement?» s'inquiète Claude Beauregard.

Car ce modèle n'a pas seulement servi les entreprises, il a aussi servi la démocratie, souligne-t-il. «L'information, ça coûte quelque chose. Maintenant que les annonceurs s'en vont, la question de fond est: qui va payer?»

D'autres sont plus optimistes. Malgré la fragmentation de la publicité, malgré la multiplication des sources d'information, la fin des grands médias n'est pas pour demain, croit Claude Martin, selon qui «nous aurons toujours besoin d'une grand-messe».

Optimistes et pessimistes conviennent d'une chos : il y a 100 ans, les journaux avaient le vent dans les voiles. Maintenant, ils doivent ramer pour survivre.D'une guerre à l'autre

Les médias d'information ont évolué au fil des guerres, constate Claude Beauregard, de l'École des médias de l'UQAM.

La Première Guerre mondiale a été celle de la télégraphie sans fil, qui a permis de suivre le conflit au jour le jour. La Deuxième Guerre mondiale a été marquée par l'essor de la radio, encore plus collée sur les événements.

Puis il y a eu la guerre du Vietnam, qui est entrée dans les salons sur les écrans de télé. La guerre du Golfe, en 1990, a été celle de CNN et de l'information continue.

En 1999, l'intervention de l'OTAN au Kosovo a pu être suivie sur des centaines de sites internet : c'était la première guerre sur le web, selon Claude Beauregard. Et enfin, la guerre de l'Irak a connu des moments charnières grâce à la photo numérique.

Et la prochaine?