Comment gérait-on la diversité au XIXe siècle au Québec ? En se mêlant le moins possible les uns aux autres.

Dès le XIXe siècle, la présence d'immigrants britanniques d'origines diverses (Anglais, Écossais, Irlandais ) et de différentes confessions entraîne la mise en place d'un système de gestion de la diversité. «C'est un cloisonnement ethnique et religieux, c'est-à-dire chacun dans sa cour, chacun dans son univers. On ne se parle pas. On se ferme aux autres», explique l'historien Paul-André Linteau, spécialiste de l'histoire de l'immigration au Québec. À l'époque, tant chez les catholiques que les protestants, les évêques craignent le prosélytisme. Dans les deux groupes, on craint la domination de l'autre. D'où ce contrat social tacite qui s'établit, entraînant le développement d'univers parallèles. «Graduellement, on bâtit un système où il y a deux réseaux d'école, un pour les catholiques, un pour les protestants. Et à l'intérieur du réseau catholique, il y aura dès les années 1840 un réseau d'écoles en anglais qui deviendront graduellement un secteur anglais».

En 1846, les deux grandes commissions scolaires, catholiques et protestantes, sont fondées. Dans les autres sphères de la société, toutes les organisations sociales sont à base religieuse et ethnique. «C'était vraiment un système de chacun chez soi. Chaque paroisse, chaque petite secte avait ses propres organisations. Et chacun était responsable de ses pauvres. On ne voulait pas que ça se mêle.»

Ainsi, limite-t-on le plus possible les contacts et les frictions. Le régime d'exclusion réciproque en reste un de bonne entente. «Mais le message qui est passé aux anglo-protestants, c'est : Vous devez accepter qu'on existe, nous, francophones, catholiques, et ne pas essayer de nous assimiler. Et on va vous respecter.»

Diversité européenne

Au début du XXe siècle, le visage de l'immigration change. La diversité n'est plus que britannique. Elle devient plus largement européenne.

Les Juifs ashknénazes d'Europe de l'Est, victimes de persécution, débarquent alors en grand nombre à Montréal. Ils forment la moitié du contingent migratoire entre 1900 et 1930. Montréal devient le foyer principal de cette communauté au Canada et un des grands centres en Amérique du Nord avec New York et Chicago.

Pour cette communauté déjà habituée à gérer ses propres affaires en Europe, le modèle québécois du chacun dans sa cour convient parfaitement. «Les Juifs ashkénazes n'ont aucune difficulté à s'insérer.»

Le système de cloisonnement sera maintenu pour tous les autres groupes qui arrivent à Montréal.

«On va voir apparaître une caisse populaire ukrainienne. Une caisse populaire italienne. Chaque groupe va chercher à avoir son ensemble institutionnel souvent regroupé autour de sa paroisse.»

Ce système ne favorise pas l'assimilation en soi, mais plutôt l'idée de développement séparé. «Il n'y a pas un programme assimilationniste de la part des élites, même si dans les faits, à cause de l'école, il y a une assimilation à l'anglais.»

Pour ce qui est de l'immigration non européenne, elle n'est pas du tout encouragée par le gouvernement canadien. Une politique arbitraire et discriminatoire fait en sorte qu'on refuse presque systématiquement l'entrée aux Asiatiques, associés au «péril jaune». Les Noirs ne sont pas les bienvenus non plus. «Jusque dans les années 50, on voit des fonctionnaires canadiens dire que le climat du pays est trop froid pour les Noirs.»

À Montréal, le besoin de main-d'oeuvre pour le développement des chemins de fer changera la donne. «Très tôt, des emplois ont été réservés aux Noirs. Des Noirs américains viennent travailler pour des compagnies américaines de chemins de fer installées à Montréal, qui est une ville terminus pour bien des ligues.»

Dans l'après-guerre, période exceptionnelle d'immigration comme celle qui caractérise le début du XXe siècle, on compte encore très peu de nouveaux arrivants non européens. «Le gouvernement canadien dit explicitement : " On ne veut pas changer la composition du pays. On ne veut pas d'Asiatiques, on ne veut pas de Noirs antillais ou africains. " Dans la loi sur l'immigration, une série de mesures discriminatoires font en sorte que les non-Européens ont de la difficulté à venir.»

Une nouvelle diversité extra-européenne

Le grand virage dans l'histoire de l'immigration surviendra dans les années 60. En 1967, on passe d'un système d'admission des étrangers tout à fait arbitraire à un système de points. On fait disparaître les éléments discriminatoires dans la loi sur l'immigration qui favorisaient principalement une immigration judéo-chrétienne et européenne. Le Canada est le premier pays à éliminer ces mesures discriminatoires, devançant sur ce plan les États-Unis et l'Australie.

Peu à peu, la diversité au Québec devient aussi extra-européenne. Par souci d'équité, parce que les temps ont changé, mais aussi pour des raisons tout à fait pratiques. Car avec la reconstruction de l'après-guerre, on observe une chute radicale de l'immigration européenne. «Un pays comme le Canada qui a besoin de beaucoup de main-d'oeuvre doit aller la chercher là où elle se trouve.»

C'est aussi à cette époque, avec l'avènement de l'État providence, que l'on remet finalement en question le vieux modèle de cloisonnement. «C'est seulement à partir des années 60 que le gouvernement nationalise les hôpitaux et qu'on enlève le caractère ethnique et religieux aux hôpitaux et aux différentes organisations sociales.»

L'opération de décloisonnement durera une quarantaine d'années. «Le dernier démantèlement est venu en 1997 avec la suppression des commissions scolaires confessionnelles», remarque Paul-André Linteau.

Si ce n'est que dans les années 60 que le Québec a réellement pris conscience de sa diversité, un coup d'oeil sur le passé montre bien que la société québécoise a une longue tradition d'adaptation à la diversité. Mais il aura fallu plus d'un siècle pour démanteler le système du chacun pour soi. Comme si jusque-là, la société québécoise, accoudée sur un système de cloisonnement hérité du XXe siècle, avait géré sa diversité sans le savoir.