Joseph entre dans le local de retrait en gueulant. Ce lieu est réservé aux élèves qui ont des problèmes de comportement. Ils vont là pour décompresser quand ils sont expulsés d'un cours. L'adolescent est très agressif.

«Je suis suspendu juste à cause de deux policiers qui tirent sur n'importe qui», crie-t-il. Il demande un briquet pour brûler sa feuille de suspension à un autre élève expulsé de son cours.

 

Son éducatrice spécialisée, Nathalie Côté, le suit de près pour désamorcer la crise. Joseph sort d'une rencontre de prévention avec deux agents de la police de Montréal. Ceux-ci soupçonnent des élèves de l'école de vouloir former un gang de rue.

«J'ai le droit de ne pas les écouter et de sortir sur mes deux jambes», ajoute Joseph en faisant référence à la mort de Fredy Villanueva lors d'une opération policière. Son éducatrice hausse le ton. «La police t'a rencontré pour savoir ce que tu fais dans la rue. Tu dois faire les bons choix», lui rappelle-t-elle calmement.

Enragé, le jeune blâme la police de le cibler parce qu'il est issu d'une minorité visible. Et conclut en invoquant «Al-Qaeda». L'éducatrice spécialisée ne se laisse pas perturber par autant d'agressivité. Elle vit de la violence tous les jours dans les deux classes de troubles de comportements de l'école Calixa-Lavallée.

Mme Côté et son collègue psychoéducateur, Sylvain Villemaire, travaillent à temps plein dans ces deux classes. Chacune est composée au maximum de 14 élèves. Tous des garçons hyperactifs, âgés de 12 à 16 ans, qui ont vécu des échecs à répétition. Un groupe n'a pas terminé son primaire. L'autre est plus «avancé» et suit le programme du secondaire.

Et même si au début de l'année scolaire, une vingtaine de jeunes se sont amusés à lancer des objets sur des voitures dans le stationnement de l'école. Elle en a reçu un dans son pare-brise. Dans le groupe, elle a reconnu des élèves de sa classe. Sur la porte de son collègue, M. Villemaire, on peut lire: «La violence, ça ne fait pas partie de ma job!»

Un système d'émulation est mis en place pour motiver ces jeunes difficiles. Ils ont tous un portable. S'ils se comportent bien, ils ont accès à l'internet durant les cours. Ils ont 15 minutes à la fin de chaque période pour jouer au baby-foot ou au Game Cube. «Ce système nous permet de gérer la classe. Si on n'avait pas cela, on serait à quatre pattes sous nos bureaux», dit Cinthia Nelsol, enseignante de français et d'éducation physique.

Certains élèves vivent dans un milieu familial difficile. «Ma propre famille me vole. Ce sont des bitchs», gueule un autre jeune quand l'enseignante lui demande où sont passées ses espadrilles. D'autres auraient plutôt besoin de prendre du Ritalin, estiment leurs éducateurs. «Des parents sont dans la négation. On voit des jeunes diagnostiqués troubles de comportement avec déficit d'attention depuis des années, mais leurs parents n'ont pas fait de démarches pour qu'ils prennent du Ritalin», explique Mme Nelsol. Le personnel et les enseignants se sentent parfois impuissants. «Ce ne sont pas les jeunes qui nous découragent. C'est quand on se heurte aux portes fermées du système de santé, indique Nathalie Côté. Si on demande une consultation en santé mentale, et que ça prend de 8 à 10 mois, le jeune se détruit pendant ce temps-là. Les systèmes de santé et scolaire ne travaillent pas assez ensemble.»

Une équipe tissée serrée

L'équipe TC, composée de trois enseignants et des deux intervenants, est tissée serrée. Le local des intervenants spécialisés est situé entre les deux classes. Il ne se passe pas une période sans qu'ils reçoivent un ou plusieurs élèves expulsés d'un cours. «Les élèves peuvent nous insulter. Se mettre à plusieurs contre l'un de nous. Il faut être une équipe solide et apprendre à se détacher de ça», souligne une autre enseignante, Marie-Claude Bédard.

Malgré tout, l'équipe est attachée à ses élèves. «Ils n'ont pas des vies faciles. Ils ne les ont pas choisies», explique Jean Brodeur, enseignant de mathématiques et de sciences. «On travaille avec des ados qui ont beaucoup de potentiel. Parfois la porte s'ouvre au bon moment, mais souvent, elle se ferme», déplore M. Villemaire.

Chaque soir, les enseignants téléphonent aux parents. Chaque semaine, la feuille de comportement de leur enfant leur est envoyée par la poste.

Ces élèves n'ont pas de troubles d'apprentissage. «Il y a des années où j'arrive à passer à travers le programme du ministère. Mais cette année, je fais beaucoup de discipline. Ça prend 20-25 minutes juste pour les asseoir», ajoute l'enseignante de français.

Ces jeunes ne peuvent pas passer plus de trois ans en classe TC. Certains décrochent. D'autres réussissent à intégrer le régulier ou une formation professionnelle. C'est le cas de Ian, qui termine son secondaire dans une classe régulière. «Je trouvais ça drôle d'insulter tout le monde, de foxer les cours, de me battre», raconte-t-il. L'ado était conscient de foncer dans un cul de sac. «C'était quand même le fun pour l'ordinateur, le Game Cube. Mais tu as plus de misère à travailler parce que tout le monde se provoque tout le temps.»