Ce n'est pas écrit dans sa définition de tâche, mais il arrive, dans ses fonctions à l'école Jules-Verne, que Mireille Blanchard passe de longues minutes à bercer des enfants. Des petits de 4 ou 5 ans, qui ont fait une crise majeure dans leur classe. Le travail de Mireille, c'est d'aller les chercher et de les aider à se calmer. C'est ce qu'elle fait quand on l'appelle, cinq, six, sept fois par jour. Parfois, à bout de forces, à bout de révolte, ces petits finissent par se nicher dans ses bras. Elle s'assoit sur une petite chaise dure. Et elle les berce.

Mireille Blanchard et sa collègue Nancy Fortin sont les deux éducatrices de l'école. Elles travaillent dans un local qui s'appelle «l'île de la paix». Quand un enfant commence une crise dans une classe, les profs tentent de régler le problème. Mais si la situation devient hors de contrôle, ils appellent les éducatrices. Mireille et Nancy accourent. Elles emmènent l'enfant. Si elles réussissent à le calmer, l'enfant s'assoit à l'un des neuf pupitres de la salle. Il travaille calmement, en silence, à ses travaux scolaires.

 

Si, en revanche, la crise continue, il ira faire un séjour de quelques instants dans le «local du calme», une petite pièce dénuée de toute décoration où l'on retrouve des matelas et de gros coussins en forme de smiley jaune. Disons que les coussins y mangent souvent la claque.

«Il y a des périodes plus difficiles que d'autres à l'école. Les débuts d'année. Les examens de fin d'année. Et quand il y a un congé, pour les enfants, ça peut être stressant. Ils sont en sécurité ici. Chez eux, c'est souvent plus instable», explique Mireille. Pour ces enfants dont l'environnement familial est, employons un euphémisme, difficile, les vacances sont donc source de stress plutôt que de joie.

En six ans à Jules-Verne, Mireille a tout vu. Des enfants qui la menacent, qui crachent, qui mordent, qui lancent des insultes. Des enfants qu'elle est obligée de maintenir physiquement. Pendant dix minutes. Quinze minutes. Quarante-cinq minutes. «Quand un enfant de deuxième année tient une chaise au bout de ses bras et nous regarde, qu'est-ce qu'on fait? On n'a pas le choix d'intervenir physiquement», dit-elle.

Il y a des millions de raisons qui poussent ces enfants à faire des crises. Ce petit, par exemple, qui en est à sa troisième école en quatre ans de scolarité, souffre d'une profonde anxiété. Mais parfois, les motifs sont plus difficiles à démêler. Cet enfant de première année, par exemple, qui, régulièrement, s'assoyait en tailleur et se frottait compulsivement les pieds. Il devenait complètement sourd et aveugle à ce qui l'entourait.

«La première image que j'ai eue de cet enfant-là, il s'en allait en psychiatrie», se rappelle Guylaine Crousset. Finalement, à force de poser des questions à la famille, on a découvert que l'enfant assistait régulièrement à des séances de vaudou. «Dans le rituel, il était l'élu. Quand il faisait ça, c'est qu'il avait un appel, raconte la directrice adjointe. On a expliqué aux parents que ça avait des répercussions à l'école. Ça s'est tassé.»

***

«Kevin Juteau, si tu entends ce message, rends-toi au secrétariat.» Ce message retentit régulièrement dans l'interphone de Jules-Verne. Kevin, 8 ans, a la fâcheuse habitude de se sauver quand les choses ne marchent pas comme il veut sur l'heure du dîner, une période critique pour lui car l'effet de son médicament contre l'hyperactivité se dissipe à cette heure. Les interminables corridors et les immenses aires ouvertes deviennent une sorte de jeu de cachette géant. Dans ces circonstances, les adultes ne doivent surtout pas courir derrière les petits fuyards. «On ne peut pas leur courir après. C'est ça qu'ils veulent», dit Mireille Blanchard.

Les adultes communiquent donc par talkie-walkie pour cerner Kevin. Francine Corbeil, la responsable des dîners, est souvent celle qui retrouve Kevin. Aujourd'hui, elle a fait un pacte avec lui. La prochaine fois qu'il se sauve, il vient au secrétariat. Là, il pourra se calmer en s'amusant à des petits jeux. «D'accord?» lui demande-t-elle.

Kevin la regarde longuement à travers ses lunettes. Puis il tape dans sa main tendue.