Jonas Léger est parti de Montréal à 4 ans avec ses petits frères et ses parents. Destination: le Venezuela. Le jeune d'origine haïtienne est revenu à 16 ans, avec son frère de 15 ans. Mais sans ses parents.

À l'aéroport, avant de les laisser partir, leur père a pris Jonas à l'écart. Il lui a remis deux vieux billets de 2$ canadiens. «Ça doit valoir cher, maintenant. Si tu as des problèmes, vends-les», a-t-il dit à son aîné. Jonas préférerait mourir de faim plutôt que de les vendre. Pour lui, c'est un «trésor de famille».

 

Les deux frères ont atterri à l'école secondaire Calixa-Lavallée, à Montréal-Nord. Avec une mission: réussir leur vie.

«Je n'ai pas le droit de faire des niaiseries», raconte le jeune homme au sourire craquant. Il a 18 ans et termine sa cinquième secondaire au «régulier», précise-t-il fièrement.

Les parents de Jonas ont quitté Haïti pour venir fonder une famille au Canada. Ils étaient sans statut. Sa mère a donné naissance à ses trois fils, puis toute la famille est repartie.

Au Venezuela, sa mère a continué de leur parler français, même si les garçons ont fait leur primaire en espagnol. Elle savait que ses fils, citoyens canadiens, retourneraient dans leur pays un jour.

«Ça a été dur de laisser mes parents là-bas. J'aurais aimé qu'ils puissent venir avec moi», raconte Jonas. Son plus jeune frère, maintenant âgé de 14 ans, vit avec ses parents au pays d'Hugo Chavez. Il pense souvent à eux, confie-t-il, sans jamais perdre sa bonne humeur.

À première vue, Jonas ressemble à n'importe quel autre élève de Calixa-Lavallée. Il porte des pantalons très larges. Il aime le hip hop, le basket. Il ne sort jamais sans son chandail kangourou ni ses écouteurs dans les oreilles.

Ses responsabilités n'ont toutefois rien à voir avec celles des autres jeunes de son âge. Jonas a passé une année en classe d'accueil avant d'atterrir dans une classe de quatrième secondaire. Il voulait intégrer l'école ordinaire le plus vite possible. «Je n'avais pas perdu mon français grâce à ma mère. Ça a bien été», dit-il, humble.

Jonas gère un budget très serré de 600$ par mois. Il est gêné d'en donner les détails. L'école lui a déniché une petite bourse de subsistance de 500$ pour un an. Cet argent n'est pas un chèque en blanc. Il doit présenter toutes les factures. «Jonas est très bien organisé et consciencieux. Avec cet argent, il a entre autres choses acheté deux paires de souliers et du matériel scolaire pour son frère et lui», raconte la conseillère pédagogique, Lucille Buist.

Il reçoit de l'argent de temps à autre de ses parents. Seul son père travaille. Il ne gagne pas un gros salaire. Il est réparateur d'électroménagers au Venezuela. Pour l'instant, la mère de Jonas ne veut pas que son fils travaille au Canada. «Elle me dit de me concentrer sur mes études», explique le jeune homme.

Jonas vit dans un logement de cinq pièces avec son jeune frère. Ils sont voisins de l'église baptiste, qu'ils fréquentent assidûment. C'est l'église qui leur a trouvé un logement. Et c'est aussi l'église qui les aide lorsqu'ils ont plus de difficulté à joindre les deux bouts. «Ça m'est arrivé deux ou trois fois de manquer d'argent», dit-il, sans vouloir entrer dans les détails.

Il se sent parfois comme le père de son frère cadet. «Il faut être sévère quand c'est le temps et donner le bon exemple. Disons qu'il m'écoute presque à 100%.»

On pourrait croire que Jonas croule sous les préoccupations quotidiennes. Si oui, il n'est vraiment pas du genre à se plaindre. «J'ai une vie correcte, plutôt belle même», affirme-t-il, l'air serein.

Le jeune homme a un sourire contagieux. Et beaucoup d'amis d'origines ethniques différentes, à l'image de Calixa-Lavallée. Il a sur le monde qui l'entoure une réflexion plus évoluée que plusieurs jeunes de son âge.

«Ça me fait mal quand des gens de ma race ne se font pas accepter ou se font intercepter par la police pour rien. Mais je trouve cela aussi triste de voir des jeunes qui pensent qu'ils n'ont pas d'avenir puis qui se mettent à se tenir dans les rues.» L'an prochain, Jonas songe à faire une technique en soins infirmiers. Il a bon espoir de réussir. «Pour mes parents, mes frères et moi.»