Il s'appelle Charles Bernard. Encore la semaine dernière, il pratiquait la médecine familiale à Québec. Un nouveau défi de taille l'a convaincu d'accrocher son sarrau et de déménager à Montréal: il vient d'être nommé président-directeur général du Collège des médecins du Québec. Pour ce mandat de quatre ans, il prend la relève du Dr Yves Lamontagne. Il a accepté de partager sa vision de la médecine avec La Presse.

Q Vous pratiquiez encore la semaine dernière dans votre cabinet, où vous aviez au moins 2000 patients. Est-ce que ç'a été déchirant de devoir délaisser votre clientèle?

R Ce qui a été le plus déchirant a été d'envoyer la lettre que j'avais écrite à mes patients pour leur annoncer mon départ. Dans la première partie, je leur expliquais que j'acceptais la présidence et que mes collègues les prendraient en charge en donnant priorité aux plus vulnérables. Mais la partie où j'ai écrit que j'allais m'ennuyer d'eux m'a fait de la peine... Même que si vous continuez à m'en parler, je vais avoir le coeur gros. Quand ça fait 35 ans qu'on côtoie des patients, qu'on est proche d'eux, qu'on connaît les naissances, les deuils, les mariages, les divorces, ça fait de la peine. Mais je me dis que je ne les abandonnerai pas: je serai un président proche du public et des patients.

Q Vous êtes donc omnipraticien, contrairement à votre prédécesseur, le Dr Lamontagne, qui était spécialiste. On parle beaucoup des besoins en première ligne, cet automne. Est-ce l'une de vos priorités?

R Ma priorité, c'est une meilleure communication entre les médecins de famille et les spécialistes. Je veux un colloque à ce sujet. Je pense qu'il y a de l'amélioration à faire parce que les omnipraticiens sont constamment en transfert de patients. Et l'inverse aussi. Ça amène des retards, des frustrations chez les patients. Il n'y a pas de pont de communication. C'est la même chose aux urgences. En deuxième lieu, je veux m'attaquer au manque de médecins de famille. C'est sûr que la question pécuniaire entre en ligne de compte et je ne veux pas la nier, même si elle concerne davantage les syndicats. Mais il faut trouver des façons d'inciter les gens à choisir la médecine de famille.

Q À quel dossier voulez-vous vous attaquer ensuite?

R J'ai une préoccupation pour les soins à la population vieillissante. C'est peut-être parce que je m'en vais là tranquillement pas vite, mais il reste que, auparavant, les familles prenaient plus en charge leurs parents. Une tradition intergénérationnelle. Aujourd'hui, tout a changé. Je ne veux pas revenir en arrière; quand on va dans un hôpital, on a de bons soins, mais sans nécessairement être pris en charge par la suite. Il faut organiser ces soins. Je n'y arriverai pas tout seul: je pense qu'on peut en faire une priorité commune.

Q Et la question des infirmières praticiennes spécialisées?

R Le Collège a déjà beaucoup d'ouverture et c'est un dossier déjà en marche. Vous savez, on a un comité permanent sur les activités partageables. Il y a aussi des discussions en pharmacie. On va réactiver les relations avec les pharmaciens. On va essayer de trouver des solutions communes. Prenez la contraception d'urgence, par exemple. Avant, il fallait absolument une ordonnance, et les personnes mal prises devaient se taper l'attente. Aujourd'hui, on peut aller directement à la pharmacie et obtenir sa contraception d'urgence. Jusqu'à maintenant, personne n'en est mort, à ce que je sache. Donc, le plus d'ouverture possible.

Q Votre position sur le financement du réseau de la santé?

R On reste en faveur d'un système public. Mais je ne fermerai jamais la porte à des façons de faire qui peuvent alléger le système sans pour autant pénaliser les patients. Regardez par exemple ce qui se fait en ophtalmologie. Je pense que personne n'a été pénalisé parce que quelqu'un s'est fait opérer au privé pour des cataractes. Au contraire, les listes d'attente ont chuté à presque rien. Mais je vais vous préciser quelque chose, toutefois: mon rôle, ce n'est pas de faire de la politique.

Q Et quel est, selon vous, le plus important problème avec notre système de santé?

R Trop de niveaux décisionnels. Par exemple, quand j'étais chef des urgences à l'hôpital Laval, il fallait que je m'adresse à quatre niveaux d'administration pour obtenir quelque chose. Et avant que ça me revienne pour savoir si je pouvais le faire, ça prenait au moins un mois.

Q Avez-vous eu l'occasion de parler avec le ministre de la Santé, Yves Bolduc, depuis votre nomination?

R D'abord, je le connais - je le connaissais avant qu'il soit ministre. Et il était mon député à Québec. Nous nous sommes parlé au téléphone; il m'a félicité et il y avait un esprit de collaboration. Mais nous ne sommes pas le gouvernement, je veux être indépendant. Je ne serai pas le porte-parole du Dr Bolduc. Je ne sais pas si ça existe dans les livres de gestion, mais je suis un leader d'écoute. Je veux travailler en équipe, et je peux vous dire que les gens du Collège des médecins sont fantastiques. J'ai une équipe. Maintenant, il faut que je devienne montréalais!