On connaît l'icône du cinéma, sa voix fragile et sa peau de porcelaine.

On se rappelle ses rôles marquants dans des classiques comme Rosemary's Baby, Hannah et ses soeurs ou La rose pourpre du Caire.

On a beaucoup entendu parler de ses échecs amoureux, d'abord avec Frank Sinatra, puis avec André Previn et Woody Allen, dont elle fut la muse jusqu'à ce qu'il la trahisse avec sa propre fille adoptive.

 

On connaît moins la militante.

Mia Farrow est mère de 14 enfants, dont 10 adoptés dans des pays du tiers-monde. Des enfants qu'elle a voulu arracher à leur triste sort. À 64 ans, elle s'est donné pour mission d'en sauver des millions d'autres - cette fois au Darfour où, si rien n'est fait, le monde risque «d'assister à une autre sorte de génocide».

La grande dame du cinéma s'amène à Montréal, les 15 et 16 avril, pour participer au troisième Sommet du millénaire. La Presse l'a jointe à sa maison de campagne du Connecticut. Discussion sur l'engagement humanitaire.

Q- C'est la troisième année que vous venez à Montréal pour prendre part au Sommet du millénaire. Pourquoi est-il important pour vous de participer à cette rencontre?

R- Cet événement tente de donner une voix à la conscience du monde, de faire comprendre aux gens que, même s'ils se sentent impuissants lorsqu'ils sont seuls dans leur maison, ensemble, ils peuvent influencer leurs dirigeants. J'ai rencontré à ce sommet le général Roméo Dallaire, un héros auquel je voue une admiration sans bornes, et Desmond Tutu, l'archevêque d'Afrique du Sud. Ces gens en appellent à la conscience de tous. Je me sens très honorée de me retrouver parmi eux.

Q- Les cyniques vous diront pourtant que ce genre d'événement ne change rien au sort de la planète...

R- En parlant de l'Holocauste, Eli Wiesel (Prix Nobel de la paix) a dit: «Ce qui nous a étonnés, après la tempête, ne fut pas qu'autant de gens aient tué autant de victimes, mais que si peu de gens se soient souciés de nous.» Vous pouvez certainement compter parmi les nombreuses personnes qui se moquent du sort du monde. Mais on a prouvé à maintes reprises que si les gens parlent, s'ils parlent assez fort, et si ce qu'ils disent est juste, alors ils peuvent faire bouger leurs gouvernements. C'est le rôle de tout le monde.

Q- Est-ce aussi le rôle des célébrités comme vous?

R- C'est le rôle des êtres humains. Des célébrités utilisent leur notoriété pour faire des déclarations, et plusieurs d'entre elles le font de manière intelligente. Elles n'ont pas à le faire, mais elles le font parce qu'elles veulent être des êtres humains responsables. George Clooney ou Angelina Jolie peuvent parler de tout, cela va se retrouver dans la presse. Cela dit, il serait faux de prétendre que toutes les célébrités ont l'obligation de soulever des enjeux humanitaires. La question, c'est plutôt: avons-nous, comme êtres humains, une responsabilité partagée d'agir au nom des plus vulnérables parmi nous sur la planète? Et si oui, que devrions-nous faire?

Q- Depuis cinq ans, vous avez visité le Darfour et sa région frontalière à douze reprises. Comment en êtes-vous venue à vous impliquer là-bas?

R- En 2004, j'ai lu un article racontant qu'un génocide était commis dans un endroit dont je n'avais jamais entendu parler. C'était le 10e anniversaire du génocide du Rwanda, et j'apprenais qu'un autre génocide avait lieu, cette fois au Soudan. Comme j'étais ambassadrice de l'UNICEF, j'ai demandé à m'y rendre. On m'a trouvé un visa. Quand je suis revenue, j'étais devenue un témoin. Désormais, je savais. Ce que j'avais vu et entendu avait changé la façon dont je devais mener ma vie. Je devais faire quelque chose.

Q- De quoi avez-vous été témoin?

R- Je porte au cou un collier qu'une femme a insisté pour me donner. Il est censé me protéger. Elle le portait quand son enfant lui a été arraché des bras pour être décapité devant ses yeux. Elle m'a suppliée: «Dites aux gens ce qui arrive ici. Dites-leur que nous allons tous être massacrés.» J'ai vu les cicatrices sur le corps des femmes. J'ai vu les dessins que des enfants avaient faits des attaques de leurs villages. J'ai vu des camps envahis par les djandjawids. J'ai senti la terreur. Sauf que moi, je pouvais fuir. J'avais un véhicule qui pouvait m'amener à 90 milles à l'heure vers un hélicoptère qui m'attendait. Et qui a laissé tous ces gens derrière. Je ne dis pas que je peux accomplir quelque chose, mais je dis que je ne pourrais pas vivre avec moi-même sans essayer.

Q- Après six années de conflit, où en est le Darfour?

R- Il y a 2,7 millions de déplacés. Pour ce qui est des morts, plus personne ne tient le compte. L'ONU a cessé de compter après avoir supposé qu'il y en avait 300 000. Mais plusieurs estiment ce chiffre beaucoup plus élevé. Et maintenant, plus d'un million de personnes vont bientôt mourir de faim et de maladie en raison de l'expulsion des ONG du Darfour. Dans les camps, Oxfam creusait les puits. Leurs gens sont partis. Médecins sans frontières soignait les malades. Leurs volontaires sont partis. Les organismes qui livraient la nourriture sont partis. La situation est de plus en plus désastreuse.

Q- Vous voulez dire que le réseau d'aide humanitaire au Darfour a carrément été démantelé par Khartoum, début mars. Ce fut la réponse au mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale à l'encontre du président soudanais, Omar el-Béchir, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité...

R- Oui. C'est une tragédie. Treize ONG internationales ont été expulsées, laissant derrière elles plus d'un million de personnes sans aide et sans ressources. Les organismes de l'ONU qui sont restés ont exprimé leur désarroi et ont prévenu qu'ils ne suffiront pas à la tâche. Nous risquons maintenant d'assister à une autre sorte de génocide, qui pourrait éclipser celui du Rwanda!

Q- Comment expliquez-vous l'inertie du monde face à la tragédie du Darfour?

R- Il y a un jeu plus grand qui se joue. Un jeu de Monopoly impliquant la Chine. Une large part du pétrole chinois provient du Soudan. C'est pour cela que la Chine protège ce pays au Conseil de sécurité des Nations unies. Appuyée par la Russie, elle y paralyse tous les efforts. C'est ce qui fait toute l'importance du sommet de Montréal et d'autres rendez-vous internationaux. Les gens se rassemblent pour faire bouger les choses. Même en ces temps difficiles, on ne peut s'asseoir pour regarder plus d'un million de personnes mourir. Il faut pousser plus fort. Les gouvernements doivent faire quelque chose.

Q- Qu'est-ce qui vous motive?

R- De l'indignation, de la colère... et probablement de la compassion, mais je ne veux pas paraître condescendante. Je ne suis pas mieux que mes frères et soeurs au Darfour, au Congo ou en Haïti qui souffrent aujourd'hui.

Q- Est-ce que ce sont les mêmes motivations qui vous ont poussée à adopter 10 enfants dans des pays en voie de développement? Vouliez-vous les sauver?

R- Je ne veux pas avoir l'air messianique. Je suis consciente d'avoir vécu une vie remplie de privilèges aussi énormes qu'injustifiés. Si je peux faire quelque chose pour redonner à d'autres, à mon humble façon, alors je dois le faire.