Jamais n'aura-t-on vu dossier aussi mal géré- et depuis aussi longtemps- que celui du CHUM.

Survenant après d'autres échecs- le site invraisemblable du Palais des congrès, la saga des installations olympiques, le prolongement du métro à Laval, etc.-, cette lamentable affaire laisse planer des doutes sur la capacité d'un gouvernement basé à Québec de mener à bien de grands projets montréalais et ce, indépendamment du parti au pouvoir. Le Dr André Lacroix, de l'Université de Montréal, et l'urbaniste Jean-Claude Marsan ne sont pas du même côté: le premier est en faveur du site Outremont, le second de l'Hôtel-Dieu. Mais tous deux ont la même intuition: les fonctionnaires de Québec- les vrais maîtres à bord car les ministres ne font que passer- ne comprennent rien à Montréal.

Les deux hommes réagissaient lundi à ce que le Dr Lacroix appelle «la pilule empoisonnée» que Québec cherche à faire avaler au CHUM: un hôpital sur deux sites.

Pour Jean Charest, c'est sans doute une façon de ménager la chèvre et le chou, de plaire aux partisans d'Outremont sans déplaire à ceux d'un CHUM au centre-ville. C'est une illusion car cette solution bâtarde ne fera que des mécontents.

Le ministre Couillard et ses fonctionnaires ont peut-être d'autres motivations, plus machiavéliques: le spectre d'un hôpital à deux têtes va torpiller le projet Outremont, car s'il fallait choisir entre Saint-Luc (un site qui n'enthousiasmait personne au départ) et un hôpital écartelé entre Outremont et Notre-Dame, la communauté médicale montréalaise se repliera sur Saint-Luc comme sur la moins mauvaise des solutions.

Il y a longtemps, du reste, que les fonctionnaires du MSSS pilotent cette idée d'un hôpital bicéphale. L'ancien ministre péquiste François Legault, peu avant les élections, s'était rangé à leur point de vue.

Pendant ce temps, le gouvernement tergiverse... Il s'est engagé dans la phase trois d'un processus de sous-traitance d'une décision qui devrait pourtant relever du pouvoir politique.

La phase un avait été de confier à MM. Mulroney et Johnson le mandat de déterminer le meilleur site. On a compris plus tard qu'en fait, ce mandat se limitait à choisir la solution la moins coûteuse.

La phase deux survint après le lancement du projet de l'Université de Montréal: un autre contrat de sous-traitance à Daniel Johnson... qui a ressorti ses papiers, refait les mêmes calculs et réitéré son premier choix. Son rapport s'est perdu sur quelque tablette.

La phase trois se déroule actuellement. La sous-traitance, cette fois, est allée à Guy St-Pierre, ancien président de SNC-Lavalin, et Armand Couture, ancien président d'Hydro-Québec.

Le rapport doit être remis le 2 février, mais le premier est encore en vacances à l'étranger! On ne doute pas qu'il ait apporté des dossiers avec lui, mais il n'a rencontré personne... et c'est par téléphone qu'il a participé cette semaine à une réunion avec les dirigeants du CHUM!

Quant au second, il a donné l'impression à ses interlocuteurs qu'il est «vendu» mordicus à l'idée d'un CHUM à deux têtes. Il fait grand état du fait que le CHU de McGill et celui de Sherbrooke soient sur deux sites. Passons sur ce dernier, qui n'aura jamais, malgré ses ambitions, l'importance de celui de l'Université de Montréal. Mais a-t-on oublié que ce n'est que sous la pression gouvernementale (relayée par la commission Mulroney-Johnson) que McGill s'est résigné à couper son futur hôpital en deux?

La controverse n'est pas finie: si MM. St-Pierre et Couture donnent leur bénédiction au site Outremont en se basant sur l'analyse environnementale rassurante de SNC-Lavalin, on les accusera d'être en conflit d'intérêt puisqu'ils viennent tous deux de SNC-Lavalin... et une autre firme d'ingénierie, embauchée celle-là par l'administration du CHUM, prédit au contraire les pires catastrophes environnementales!

Dans le vacuum créé par l'inertie politique, le projet du site de l'Hôtel-Dieu reprend du poil de la bête, non sans raison car on ne comprend pas encore exactement pourquoi les fonctionnaires l'ont rejeté sans appel (est-ce parce que c'est dans ces beaux lieux historiques ouverts sur la montagne qu'ils ont aménagé leurs propres bureaux?). En tout cas, le projet séduit bien des Montréalais.

N'oublions pas, toutefois, que c'est d'un dossier déjà pourri qu'avait hérité le gouvernement Charest. Sous le gouvernement péquiste, les études préliminaires commandées par la Corporation d'hébergement du Québec (basée à Lévis) avaient atteint un tel niveau de gaspillage que le président de la Société d'implantation du CHUM, Claude Béland, avait démissionné avec fracas pour ne pas être associé au désastre.

Ce sont peut-être les excès antérieurs qui expliquent, en partie, la volonté du gouvernement Charest de limiter les coûts. Mais il y a des économies qui ne rapportent rien quand elles sont faites à courte vue.