S'il faut en croire notre collègue Denis Lessard, le premier ministre Charest aurait décidé de prendre le taureau par les cornes et d'opter en faveur du site Outremont pour le futur CHUM.

Le taureau, pour poursuivre la métaphore, va se rebiffer et donner de furieux coups de corne. Compte tenu de la tournure véritablement paranoïaque qu'a prise, ces derniers temps, le discours des partisans du site Saint-Luc, on peut s'attendre à ce qu'il y ait pas mal d'hystérie dans certaines chaumières. Mais cette agitation finira bien par se calmer. Et si M. Charest décidait de faire preuve de leadership dans ce dossier explosif, cela pourrait fort bien le servir à long terme.

Pendant quelques jours, on l'accusera à grands cris d'avoir cédé au diabolique lobby des gens d'affaires, et la litanie des procès d'intention reprendra de plus belle. Mais quoi qu'il fasse, M. Charest resterait la cible des mêmes accusations, car la tactique de ses opposants politiques, depuis longtemps, consiste à le dépeindre comme la marionnette des élites. S'il rejette le site Outremont, on dira simplement qu'il s'est écrasé, et on le méprisera encore plus.

Si, au contraire, M. Charest affirme son autorité, contre l'opinion des fonctionnaires du MSSS et de quelques-uns de ses ministres, il pourrait récolter un certain succès d'estime, car ce n'est pas tous les jours que l'on voit un premier ministre faire preuve de leadership. «Je suis leur chef, donc je les suis» n'a rien d'une devise admirable!

De toute façon, au point où il en est dans les sondages, M. Charest n'a plus rien à perdre. Sa planche de salut pourrait être d'apparaître comme un leader vigoureux et visionnaire- tant il est vrai que le projet de technopole est véritablement un projet de visionnaire, au sens positif du terme.

Certes, le processus de décision a cloché depuis le début de cette incroyable saga, sous le gouvernement péquiste comme sous le gouvernement libéral. Encore aujourd'hui, on se demande pourquoi le cabinet du premier ministre refuse de rendre public le rapport Couture-Saint-Pierre (dont on sait cependant, grâce à une fuite, qu'il conclut en faveur du site Outremont). Peut-être M. Charest veut-il réserver la primeur de ce rapport déterminant à ses députés et ministres. Cela serait un geste diplomatique, compte tenu de la mini-fronde des élus libéraux, furieux de ne pas avoir été consultés sur le financement des écoles juives.

Quoiqu'il en soit, il est grand temps d'en finir, car la controverse a pris une tournure irrationnelle et vicieuse. Si M. Charest tranche en faveur d'Outremont, il pourra s'appuyer sur l'opinion d'Armand Couture et de Guy Saint-Pierre, dont la crédibilité, en matière de grands projets, est de beaucoup supérieure à celle des autres experts qui se sont succédé au dossier.

M. Couture a présidé aux destinées de la plus grosse entreprise publique du Québec (Hydro), et M. Saint-Pierre, ingénieur de formation, a un passé politique et professionnel sans tache; il a dirigé la plus grande entreprise d'ingénierie au Québec (SNC-Lavalin). Comme la principale objection au site Outremont tenait à l'insécurité due à la présence des voies du CP, leur avis rassurant, conjugué à l'expertise considérable de SNC-Lavalin, devrait mettre le point final au débat.

L'autre expertise primordiale, dans ce dossier, est celle des chercheurs et des médecins. Or, le tiers des médecins du CHUM s'est publiquement prononcé en faveur du site Outremont, ce qui est énorme. Car à voir le zèle avec lequel la direction actuelle du CHUM militait en faveur de Saint-Luc, le réflexe normal des médecins était de se tenir loin de la controverse, histoire de ne pas s'aliéner la direction de l'hôpital dont ils dépendent pour une foule de considérations logistiques.

Quant à l'Université de Montréal, qui a lancé l'idée de cette «cité du savoir et de la santé», loin d'être un «lobby», c'est la plus grande institution d'enseignement et de recherche du Québec francophone! Le scandale, ç'aurait été que Jean Charest ne tienne pas compte de son opinion.

Si M. Charest réussit à s'élever au-dessus de la fange dans laquelle s'est enlisée cette controverse, et s'il vise le long terme, il pourrait s'en trouver récompensé. Lorsque s'élèvera au coeur géographique de la métropole un complexe d'envergure internationale susceptible de faire la fierté des Québécois- qui plus est, un projet fondé sur l'intelligence et la nécessité, sur la recherche biomédicale et la mission de soigner (voilà quelque chose d'autrement plus emballant qu'un casino, un stade ou une piste de course!), les Montréalais auront depuis longtemps oublié les querelles affligeantes de l'hiver 2004-2005.

À condition, bien sûr, que le projet soit bien géré, bien encadré, sans dérapage ni gaspillage. Si M. Charest s'engage dans cette voie, il devra assurer un suivi sans faille.