La façon dont se dénoue la saga du CHUM relève de la fraude intellectuelle.

On a vu comment le ministre de la Santé a orchestré ce que Lucien Bouchard appelle fort justement «l'exécution sommaire» du CHUM-Outremont, affichant une désinvolture proche du mépris envers les experts les plus crédibles et la plus grande institution d'enseignement et de recherche du Québec. L'analyse objective a été honteusement sacrifiée au populisme le plus primaire. («Notre coeur est à l'est», dit pieusement Bernard Landry.) Par une étrange métamorphose psychologique, l'emplacement Saint-Luc, que tout le monde, sans exception, considérait il y a moins d'un an comme un pis-aller, est maintenant décrit, par le lobby anti-Outremont, comme un emplacement magnifique et exaltant. («Cet endroit m'émeut», dit sans rire Daniel Johnson.)

Enfin, et c'est peut-être la pire fraude intellectuelle de ce dossier qui en contient tellement, le CHUM-Saint-Luc s'est approprié le concept de «technopole de la santé», et ses partisans osent prétendre que cette «technopole» peut être développée à Saint-Luc tout autant qu'à proximité de l'Université de Montréal.

Que dire enfin du premier ministre Charest, qui s'est lâchement exclu des débats sur un enjeu qui avait depuis longtemps débordé du cadre d'un simple ministère? Envolé à Bruxelles pendant la commission parlementaire, il en est revenu pour reprendre à son compte le refrain sur «les coûts et la sécurité» et pour fustiger bassement Mario Dumont: si ce dernier maintient son appui au CHUM-Outremont (un projet que M. Charest lui-même favorisait fortement il n'y a pas deux semaines), c'est qu'il serait le porte-voix de Lucien Bouchard! Cette algarade est indigne d'un premier ministre.

Le projet de l'Université de Montréal avait peu de chances d'être évalué à son mérite par une commission parlementaire dont les membres influents, du ministre Couillard à Louise Harel, étaient depuis le tout début totalement préjugés contre ce projet.

Effectivement, on a rejeté du revers de la main le rapport de MM. St-Pierre et Couture, les deux seuls intervenants qui s'y connaissent en ingénierie et qui ont géré (et mené à bien) de très grands projets, pour accueillir à bras ouverts le témoignage de n'importe quel opposant. Même indifférence envers l'opinion pourtant bien étayée du recteur Lacroix, l'un des meilleurs esprits du Québec.

On s'est donc abstenu de s'interroger sur les coûts cachés du projet Saint-Luc (rénovations aléatoires, construction sur l'autoroute et en sous-sol, etc.), pour se concentrer sur le coût appréhendé du CHUM-Outremont, sans tenir compte des retombées économiques et intellectuelles qu'il aurait apportées à Montréal.

Au mépris du rapport St-Pierre-Couture, un rapport corroboré au surplus par Transport Canada où sont les seuls vrais experts du transport ferroviaire, on a systématiquement joué sur la peur en exagérant au-delà du bon sens les risques du projet Outremont. Comme si, dans une grande ville du XXIe siècle, on pouvait éliminer tous les dangers potentiels! Tant qu'à évoquer le risque minime d'un accident ferroviaire, pourquoi ne pas parler d'un attentat terroriste au centre-ville ou de l'explosion d'un camion rempli d'essence sur l'autoroute Ville-Marie?

Incidemment, les résidants d'Outremont et de Mont-Royal, où il se construit des centaines de condos chaque année, doivent être ravis d'apprendre qu'ils habitent sur une poudrière. En tant que député de Mont-Royal, M. Couillard, si porté sur «le principe de précaution», ne devrait-il pas organiser l'évacuation des secteurs bordant les voies ferrées du CP?

Cet argument de la sécurité, M. Couillard y était drôlement moins sensible lors de l'épidémie de Clostridium Difficile qui a menacé la vie de centaines de patients- un problème bien réel, celui-là, que le ministre a poussé sous le tapis pendant des mois.

Un autre quotidien décrit en termes dithyrambiques la soi-disant «technopole de la Santé» qui existerait déjà autour de Saint-Luc: 28 000 employés du secteur de la santé, l'UQAM, des institutions et des polycliniques... C'est ridicule. La concentration d'employés dépend exclusivement de l'emplacement des hôpitaux. Et un CLSC ou une clinique médicale, aussi utiles soient-ils, ne sont pas des organismes de recherche.

Quant à l'UQAM, sa contribution aux sciences de la santé ne peut même pas se comparer à celle de l'UdeM, avec ses facultés de médecine, de pharmacie, de sciences infirmières ou de médecine dentaire, sans compter la panoplie complète des sciences pures. L'UQAM a, quant à elle, un petit département de chimie et un département de sciences biologiques qui compte 50 professeurs réguliers... dont la moitié travaille dans le domaine de l'écologie!

Ce n'est qu'autour de l'Université de Montréal que peut être érigée une véritable «Cité du savoir et de la santé». Non seulement le CHUM-St-Luc n'aura-t-il pas l'espace requis pour tous ces labos, mais jamais l'UdeM- pas plus d'ailleurs que McGill- ne laissera ses facultés de la santé quitter son campus.