Le document qui sème actuellement le désarroi dans les deux hôpitaux universitaires de Montréal tient en deux petites pages. Très sommairement- pour ne pas dire arbitrairement-, le ministère de la Santé y décrète un nouveau partage des activités médicales, démantelant des équipes qui fonctionnent bien et redistribuant avec une surprenante désinvolture les responsabilités entre le CHUM et le CUSM.

À vrai dire, ce document, daté du 21 novembre, est la troisième version en trois mois du projet dit de «complémentarité» entre les deux hôpitaux. Ce qui fait dire aux optimistes que les choses bougent, et aux pessimistes que toute l'opération est complètement improvisée. Qu'on en juge. La semaine dernière, le Centre des grands brûlés de l'Hôtel-Dieu devait être transféré à McGill, qui ne l'avait jamais demandé, mais qui perdait la cardiologie au profit du CHUM- une décision insensée, car il n'y a pas d'hôpital universitaire sans un éventail complet de services en cardiologie.

Lundi dernier, volte-face du ministère: les grands brûlés seront intégrés au département de traumatologie de l'hôpital Sacré-Coeur, et McGill conservera ses services actuels de cardiologie... sans cependant pouvoir les développer. Le CUSM perdra en outre les transplantations au profit du CHUM.

Personne, dans le milieu médical montréalais, n'a été consulté. Même les autorités des hôpitaux ne disposent, comme renseignement sur les intentions du ministère, que des deux pages de tableaux succincts dont je parlais plus haut, où rien n'est chiffré ni expliqué.

On ne sait même pas où le Dr Michel Bureau, le sous-ministre chargé du dossier, a pris ses informations avant d'imposer des changements aussi radicaux dans la vocation des hôpitaux. (Impossible d'avoir la version du Dr Bureau, ce dernier ne prenant pas d'appel des journalistes.)

La dernière proposition du MSS prévoit notamment que le CHUM sera « le site des développements futurs» pour les transplantations, bien qu'il se fasse actuellement plus de transplantations à McGill et que cet hôpital soit le plus gros centre au Canada dans le domaine du coeur mécanique.

La cardiologie tertiaire, «limitée au niveau actuel», restera au CHUM. Idem pour McGill. Mais les soins quaternaires et les «développements futurs» se feront à l'Institut de cardiologie.

Pour les deux CHU, c'est une forme de paralysie, car pour faire de la recherche et de l'enseignement- de même que pour attirer et retenir les meilleurs spécialistes- un hôpital universitaire doit avoir toutes les spécialités. On n'attire pas un surspécialiste en lui disant que sa recherche sera plafonnée. D'autant plus que la science médicale évolue rapidement, et que la découverte révolutionnaire d'aujourd'hui fera demain partie de la routine chirurgicale.

Et le patient, dans tout cela? La limitation des activités brise la continuité des soins. «Si l'on transfère au CHUM un diabétique en dialyse soigné au CUSM pour une transplantation de rein, dit le Dr Jacques Genest, directeur de la cardiologie de McGill, le CHUM devra reprendre le dossier à zéro et refaire tous les tests. Où est l'économie?»

La neuro-oncologie sera «limitée au niveau actuel» dans les deux CHU, et la chirurgie neurovasculaire de l'avenir concentrée au CHUM, le CUSM héritant quant à lui de la chirurgie de l'épilepsie et de la chirurgie bariatrique. Les traitements du cancer seront «limités au niveau actuel» (?) dans les deux CHU.

Le directeur du Centre des grands brûlés, le Dr Jean-Marc Dubois, ne cache pas son inquiétude. Le déménagement de son unité au Sacré-Coeur démantèlera une équipe multidisciplinaire bâtie au sein du CHUM, et qui fonctionne admirablement depuis 1985. «Nous risquons de perdre des médecins et des infirmières qui préféreront aller travailler dans un bon centre déjà constitué, comme celui de Toronto, plutôt que de tout recommencer à partir de zéro.»

Il signale qu'aucune unité de grands brûlés n'est intégrée à un centre de traumatologie, parce qu'il s'agit de deux domaines très différents, les grands brûlés exigeant des soins et des locaux tout à fait spécifiques; en outre, comme ils sont souvent infectés par des germes multirésistants, «ils présenteraient un danger pour les patients des soins intensifs.»

On voit mal la rationalité de ces chambardements, qui ne généreront même pas d'économies majeures, puisque ce qui coûte le plus cher, c'est la main-d'oeuvre. Si des spécialistes passent d'un hôpital à l'autre, les coûts restent les mêmes. À moins, évidemment, que la démotivation ayant fait son oeuvre, certains parmi les meilleurs décident de quitter Montréal.