Locataire dans le nouvel hôpital universitaire francophone de Montréal, le gouvernement québécois devra payer 100 millions par année, pendant 30 ans, pour occuper un complexe dont il aura construit le quart.

En outre, la partie «rénovation» de l'hôpital Saint-Luc comporte tant d'incertitude quant aux dépassements de coûts qu'elle ne suscitera pas d'intérêt de la part des entrepreneurs privés. Les contribuables devront assumer ces risques car ce volet devra être construit en mode conventionnel, plutôt qu'en partenariat public-privé. C'est ce qui ressort de la présentation faite par le président de l'Agence des Partenariats public-privé, Pierre Lefebvre, au conseil d'administration du CHUM, mardi soir. Mine de rien la facture vient d'augmenter de 200 millions par rapport aux prévisions publiques jusqu'ici. Québec avait jusqu'ici fixé à 1,1 milliard la facture du projet il fournissait 800 millions, 200 millions devaient venir de la Fondation et les derniers 100 millions être payés par Ottawa. Et M. Lefebvre a insisté: les coûts sont encore basés sur des estimations, rien n'assure qu'ils ne grimperont pas encore dans l'avenir.

D'entrée de jeu, M. Lefebvre a indiqué qu'il avait recommandé, pour la construction du CHUM, le mode PPP au gouvernement. La décision n'était pas officiellement prise jusqu'ici. Cette proposition doit être entérinée en janvier par le Conseil des ministres. Philippe Couillard a eu la même présentation de la part de l'Agence au début décembre.

Selon les informations obtenues de plusieurs sources par La Presse, le directeur général du CHUM, le Dr Denis Roy, n'a pas hésité quand l'ancien président de la CSN, Marc Laviolette, s'est informé des coûts de location du complexe: 100 millions par année, soit 3 milliards pour les 30 ans du contrat envisagé entre le gouvernement et l'entrepreneur choisi. Des inquiétudes se sont fait entendre sur la pression d'une telle dépense sur les budgets de fonctionnements du CHUM, soit 560 millions par année actuellement. Le gouvernement a désormais en main le «plan d'affaires» du projet de CHUM, une commande de l'Agence des PPP passée à la firme Raymond Chabot Grant Thorton. La version préliminaire de ce document de plus de 100 pages précise noir sur blanc l'échéancier révélé par La Presse cet automne qu'avait refusé de confirmer le ministre de la Santé, Philippe Couillard. En mode PPP, les derniers travaux, la rénovation de Saint-Luc, se termineront en août 2013. En mode conventionnel, il faudrait prévoir six mois de plus, au début 2014.

Québec se doit de revoir la répartition des travaux dans l'ensemble du projet. D'abord, parce qu'elle comporte trop de risque, la partie rénovation de l'hôpital Saint-Luc devrait être réalisée en mode conventionnel, une nouveauté par rapport au projet original du gouvernement qui ne prévoyait qu'un centre de recherches, dans l'édifice Vidéotron, construit selon les appels d'offres traditionnels.

Pour le volet de la rénovation de Saint-Luc, «le niveau de risque du projet est tel que les soumissionnaires n'auront pas d'intérêt, et leur capacité d'obtenir un cautionnement ou le financement en sera affectée». «Ces risques devront de toute façon être assumés par le secteur public», affirme clairement le document de Raymond Chabot Grant Thorton.

En outre, on propose de scinder en deux la partie des travaux accordés en PPP. Laisser tout à un seul entrepreneur ferait que la bouchée serait trop grosse pour les firmes québécoises.

«Pour des projets aussi immenses, c'est normal de procéder ainsi par lots», d'expliquer une source au sein du conseil qui a requis l'anonymat, après la «réunion de travail» de mardi soir.

Selon la présentation de M. Lefebvre, la construction du CHUM en mode conventionnel coûterait 1,7 milliard tandis qu'en PPP il en coûtera 1,3 milliard. «À les écouter, c'est presque l'exploitation du privé par le secteur public», d'ironiser Marc Laviolette, représentant des utilisateurs au sein du conseil d'administration. Pour lui, Québec justifie le recours aux PPP par la prévisibilité des coûts. Or «les entrepreneurs prennent le beurre à la poignée avec de tels projets».

La rénovation du pavillon Édouard-Asselin et de l'hôpital Notre-Dame serait également faite en mode traditionnel. En PPP se construirait le centre de recherche, les unités de soins ambulatoires, les urgences, le stationnement et la centrale thermique.

Par rapport au scénario d'origine, le plan d'affaires préconise de faire en PPP, isolément, l'îlot E, le nouveau Centre de recherche, le 300 Viger, et l'édifice Vidéotron. Ne pas isoler cette partie «neuve» de la construction la rend moins attrayante pour le secteur privé. Elle comporte moins de risques de dépassements de coûts que les autres projets.

Ce nouveau partage des travaux, un «projet de référence», coûtera 1,2 milliard à construire, grosso modo la même dépense que le précédent projet en PPP. Dans la même évaluation, on estime à 1,7 milliard la facture d'un projet lancé en mode traditionnel. Cette nouvelle répartition comporte des «risques d'interface» entre le projet de rénovation et la construction neuve, prévient le consultant.

Le nouveau projet augmente à 25 % au lieu de 10 % les «contingences», les imprévus, même si ces dépassements sont plus susceptibles de se retrouver dans la partie rénovation, assumée par le public.

Un tableau du plan d'affaires montre aussi que le projet proposé coûterait 193 millions en dépenses d'immobilisation à Québec, contre 66 millions dans le projet de PPP initial. L'addition des loyers annuels monterait à 2,7 milliards, contre 3,4 dans le projet original. Par rapport à un projet traditionnel, Québec épargnera 316 millions contre une économie de 122 millions dans le projet original.

Le plan d'affaires fait aussi la comparaison entre les coûts des hôpitaux au mètre carré. L'agrandissement du CHUQ à Québec coûte 4420 $ le mètre carré. L'hôpital Pierre-LeGardeur, en 2004 a coûté 2700 $ le mètre carré. Avec 250 000 mètres carrés, le coût de la construction du CHUM atteint 6900 $ le mètre carré.