L'endroit s'appelle Place Saint-Martin. Les jeunes l'appelle «le Ghet». Sur le terrain de ce parc d'immeubles à loyer modique, qui se dresse à quelques kilomètres à peine du centre-ville «officiel» de Laval, il y a une piscine. Une belle piscine. Le problème, c'est qu'elle est souvent fermée en plein coeur de l'été. Pourquoi? Plusieurs enfants qui habitent ces immeubles sont totalement déchaînés. Ils jettent des chaises dans l'eau, attaquent les sauveteurs... Leur passe-temps préféré: jouer à qui se fera jeter dehors le premier.

L'année dernière, une travailleuse sociale a organisé une fête d'été. Les enfants se sont amusés à déterrer les fleurs qu'elle avait plantées pour l'occasion. Ils se sont cachés sous la scène et ont arraché les fils du système de sonorisation. Des gamins parfois très jeunes rôdent jusqu'à tard le soir dans les allées. Ils s'amusent à mettre le feu dans des conteneurs à déchets.

Place Saint-Martin, où s'entassent 350 familles, est une escale incontournable de la ronde des intervenants du TRILL (Travailleurs de rue île de Laval). Lors d'une visite, les intervenants Ricki Lynn Murrin et Denis Larue-Fréchette observent les enfants s'époumoner dans le parc exigu, doté de quelques balançoires. Ils sont survoltés. Impossible de ne pas être frappé par la quasi-absence d'adultes à travers cette faune surexcitée. «Une fête de quartier a été organisée en fin de semaine. Il y avait 70 enfants et une demi-douzaine de parents, dit Denis Larue-Fréchette.

La nuit, les enfants cèdent leur terrain de jeu aux adolescents. «Beaucoup de gens ne se sentent pas en sécurité. C'est dangereux de s'y promener la nuit», explique l'intervenant.

Il y a d'ailleurs des agents de sécurité qui patrouillent. Des caméras surveillent les allées et venues des résidants nuit et jour. Il y a ici un condensé de tous les problèmes sociaux propres à une grande ville: prostitution, toxicomanie, criminalité en tout genre.

«Nommez n'importe quelle problème social, on l'a, ici. Nous avons de tout, résume une travailleuse sociale d'expérience qui préfère garder l'anonymat. En arrivant ici, j'étais majeure et vaccinée. J'étais préparée. Mais pas à quelque chose de cette ampleur. Par où commencer?»

S'ajoute à cela, depuis quelques années, un mélange ethnique explosif. Une population québécoise de souche, pauvre de génération en génération, cohabite désormais avec des immigrés venus d'une quinzaine de pays. «L'autre jour, j'ai vu une petite Haïtienne et une petite Pakistanaise qui se traitaient toutes les deux de pute noire», raconte la travailleuse sociale.

«C'est une sorte de village gaulois de la misère», dit Yvan Coiteux, du CSSS Laval, qui visite régulièrement ces immeubles. L'été dernier, les deux intervenants ont reçu un appel concernant une locataire. Un cas pathétique. La femme souffrait de démence, elle était incontinente et se bourrait de médicaments. Lorsque les fins de mois étaient difficiles, elle mangeait la nourriture de son chat.

Nerfs solides

Il faut avoir les nerfs solides pour habiter Place Saint-Martin. Linda Michaudville et sa famille y vivent depuis sept ans.

«Plusieurs personne ne se sentent pas en sécurité», raconte Mme Michaudville. Elle habite un logement de cinq pièces avec son conjoint et son fils de 10 ans. La jumelle de ce dernier, atteinte d'une maladie rare, vit dans une ressource adaptée.

Mme Michaudville a aussi une autre fille, âgée de 20 ans. Cette dernière vole de ses propres ailes avec son conjoint et leur enfant.

À 38 ans, Linda Michaudville est donc déjà grand-mère.

Elle a atterri à Place Saint-Martin à la suite d'une séparation qui l'a laissée dans une situation financière précaire avec ses enfants.

Après avoir patienté pendant près d'un an sur une liste d'attente, elle a pu emménager. Pour 310$ par mois, son appartement, encombré de meubles, comporte trois chambres fermées, dont l'une adaptée pour sa fille malade, une petite salle de bains et un plancher en bois usé. Des capteurs de rêves sont accrochés dans chaque pièce, un rappel des racines mohawks de Linda Michaudville.

Elle est parmi les rares à avoir un balcon, gracieuseté de son conjoint menuisier, une véritable armoire à glace de 6pi5.

Des banquettes de voiture sont installées sur le balcon. Linda Michaudville s'y cale pour griller des cigarettes. «C'est beaucoup moins pire qu'à mon arrivée. Il y avait alors des gangs partout», lance-t-elle à travers un rond de fumée.

Mme Michaudville fait partie du comité de résidants à l'origine de l'installation des caméras de surveillance. Elle n'a pas peur des nombreux gangs de jeunes qui, le soir venu, traînent autour des véhicules au son de la musique qui joue souvent à tue-tête et résonne dans tout le parc. Avec les années, elle a appris à ne pas se laisser marcher sur les pieds.

Lorsqu'elle n'est pas capable de se faire respecter, son conjoint va parler aux jeunes et sait se montrer très persuasif.

Elle sait que la drogue et la prostitution pullulent, mais elle s'occupe de ses affaires. «La police sait qui sont les dealers, mais elle ne fait rien. Je pense que les autorités considèrent l'endroit comme une cause désespérée.» Linda Michaudville apprécie la vue de son balcon sur le parc Chopin, de l'autre côté, et ses grands arbres matures. Au loin, une mer de bungalows cossus s'étend à perte de vue.