Comment enlever à tout jamais le goût du crime à un délinquant? Le débat déchire les spécialistes mondiaux de la nouvelle justice. Pour certains, il ne faut pas hésiter à humilier publiquement le fautif. L'approche québécoise en justice réparatrice peut paraître très douce comparée à celle adoptée ailleurs au Canada et dans d'autres pays anglo-saxons.

La Gendarmerie royale du Canada organise des «forums de justice communautaire» où sont réunis le criminel, sa victime, les familles concernées et des représentants de la communauté. Tous ont l'occasion de s'exprimer et conviennent de mesures de réparation, que ce soit des excuses, la restitution de biens, du travail communautaire, une thérapie, une cure de désintoxication, etc.

 

Les séances de médiation peuvent se tenir avant ou après que la peine eut été prononcée. De plus en plus, les tribunaux canadiens encouragent les médiations avant la détermination de la peine.

La GRC utilise l'approche dite de «honte réintégrative» mise au point en Australie; il s'agit d'humilier le criminel tout en lui apportant le soutien du groupe pour qu'il revienne dans le droit chemin.

Cette approche hérisse Mylène Jaccoud et Serge Charbonneau, deux pionniers de la justice réparatrice à la québécoise. «Je suis très, très opposée à ce genre de truc où on institutionnalise l'humiliation», dit Mylène Jaccoud.

«Toute forme de médiation comporte intrinsèquement une question de honte, dit Serge Charbonneau, médiateur aux Services correctionnels du Canada. Il n'y a personne qui se présente devant la victime sans honte. La question est: est-ce qu'on doit accentuer ce sentiment ou pas? Il y a un débat là-dessus. Moi, je crois qu'on ne doit pas le faire. Le but est de parvenir à comprendre les motifs de l'autre, de se mettre à la place de l'autre, de répondre aux attentes de l'autre, et la honte n'est pas nécessairement utile pour y arriver.»

Aux États-Unis, certains juges des tribunaux municipaux et régionaux - qui sont élus par la population et non nommés - ont fait leur renommée en appliquant des peines basées sur l'humiliation des contrevenants (voir autre texte). Ont-ils de meilleurs résultats? «Absolument pas!» tranche Serge Charbonneau.

D'abord pour la victime

Outre qu'il peut amener le coupable à se rebeller contre la société, ce type d'humiliation ne s'intéresse pas non plus aux conséquences pour la victime. «On transforme le processus pour atteindre des objectifs à l'égard du délinquant. Ces choses-là doivent viser les deux personnes, pas une plus que l'autre. Si la victime a réponse à ses questions, elle sera satisfaite. Et ça aura un impact sur l'agresseur. Je n'ai pas besoin de jouer avec la honte pour que certains agresseurs demandent à rencontrer un psychologue. La plupart des personnes ont de toute façon tellement honte qu'elles ont de la difficulté à en parler. Si j'accentue ça, je prive la victime de son droit d'entendre l'agresseur.»

La GRC n'encourage toutefois pas l'humiliation publique, comme le font ces peines fort médiatisées.

La honte est à utiliser avec doigté, reconnaît Louise Hogue, directrice aux services nationaux de la prévention du crime à la GRC. «Le simple fait de mettre l'agresseur en face d'un groupe de victimes devant lequel il doit s'expliquer, c'est assez pour le rendre honteux.» La honte accentuée «peut même déclencher des pensées suicidaires», dit Mme Hogue. «C'est très important d'évaluer psychologiquement les victimes et l'agresseur.»

Un document d'information de la GRC fait d'ailleurs état d'un cas survenu dans l'Ouest canadien: les parents d'un adolescent épinglé pour vol à l'étalage l'ont forcé à marcher dans des centres commerciaux avec un écriteau au cou qui le désignait comme un voleur.

«Quelles sont les conséquences d'une telle identification et d'une telle stigmatisation sur le jeune et sa famille à long terme? Il n'y a pas de réintégration dans ce genre d'humiliation. (...) Cette forme de stigmatisation n'offre que peu d'espoir de réconciliation de l'agresseur avec la communauté.»