Le constat n'est pas nouveau : les victimes se sentent délaissées par le système de justice. Elles manquent de soutien financier et psychologique, mais aussi - et peut-être surtout - elles sentent que leur souffrance n'est pas reconnue. Et ce ne sont pas toujours les tribunaux qui peuvent répondre à ce manque.

Depuis 10 ans, le concept de justice réparatrice fait son chemin un peu partout en Occident. L'idée est d'aller plus loin que la punition infligée par les tribunaux : il faut réparer le mal qui a été commis. En marge ou à la suite du processus judiciaire, une médiation permet à la victime d'exprimer ce qu'elle a vécu, puis au criminel de s'expliquer. Tous les deux conviennent ensuite d'un arrangement pour réparer les torts causés. Il peut s'agir de simples excuses écrites ou verbales, de la restitution de biens, d'une compensation financière, d'un engagement à suivre une thérapie. Partout, ailleurs au Canada ou en Europe, le système judiciaire encourage ces démarches.Et au Québec ? « Le Québec est très en retard », dit Mylène Jaccoud, professeure de droit à l'Université de Montréal. « On a pourtant fait des travaux de réflexion très intéressants. Mais la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan sont plus avancées que nous ! La Nouvelle-Écosse, par exemple, a adopté une politique nationale de justice réparatrice. Nous, on n'a encore rien fait. »

Le Code criminel permet depuis 10 ans aux provinces de mettre sur pied un système de mesures de rechange pour que les victimes obtiennent réparation hors des tribunaux. La majorité des provinces ont adopté ces mesures tant pour les adolescents que pour les adultes.

Au Québec, la justice réparatrice est bien implantée dans les tribunaux pour adolescents. Les jeunes contrevenants et leurs victimes sont désormais incités, avant même le prononcé de la peine, à se parler pour convenir d'une réparation.

Mais pour les adultes, rien de tel n'existe encore. Et il n'y aura rien de sitôt non plus, a confirmé à La Presse une porte-parole du ministère québécois de la Justice.

Victime d'un jeune ou d'un adulte

« Il y a quelques années que je prêche et, aujourd'hui, j'ai beaucoup plus d'arguments que j'en avais autrefois », dit Serge Charbonneau, président du Regroupement des organismes en justice alternative du Québec (ROJAQ). « On est plus écouté qu'avant. Mais c'est peut-être au gouvernement québécois qu'on est le moins entendu. »

Il serait pourtant simple de s'inspirer du programme qui existe dans les tribunaux pour adolescents, dit M. Charbonneau. En Chambre de la jeunesse, la grande majorité des victimes reçoivent de l'information sur la procédure en cours contre leur agresseur. « On s'enquiert aussi de la volonté de la victime de participer activement ou pas à ce processus. On leur dit qu'ils peuvent même rencontrer l'adolescent et convenir avec lui de modes de réparation. Les victimes d'un adulte pourraient très bien avoir le même traitement. Déjà, les victimes auraient peut-être une plus grande impression de justice.»

Même si elles ne sont pas encadrées par la loi, des initiatives originales sont offertes au Québec dans la justice pour adultes, mais elles sont encore mal connues et donc peu utilisées. Le Service correctionnel du Canada (SCC) et les aumôneries des pénitenciers tiennent depuis plusieurs années des séances de groupe où détenus et victimes liés par le même genre de crime mais pas par le même événement se rencontrent.

D'autres approches vont plus loin. Encadrés par un médiateur pénal, une victime et son agresseur peuvent échanger des lettres, une vidéo, ou même se rencontrer face à face. Contrairement aux crimes commis par des mineurs (surtout des cas de vandalisme, de cambriolage, de menaces...), les dossiers traités par les médiateurs du côté des adultes concernent des crimes beaucoup plus graves : meurtre, tentative de meurtre, inceste, violence conjugale.

Services méconnus, effets spectaculaires

« On n'est pas porté à offrir ce service-là », dit Sara-Ève Duchesneau. Dans le cadre de son mémoire de maîtrise, elle a rencontré des victimes qui ont participé à ces séances de médiation. Elles avaient toutes appris par hasard, des années après le drame, que de telles démarches sont possibles. Pourquoi personne ne les en avait informées ? Par crainte de leur faire du mal ? « Est-ce que ça blesse vraiment les gens de leur dire que cette possibilité de rencontrer l'agresseur existe ? se demande l'étudiante. N'a-t-on pas le devoir d'informer les gens sur ce qui est offert et ensuite de les laisser décider de ce qui leur convient ? »

Trois des personnes qu'a rencontrées Mme Duchesneau avaient vécu l'assassinat d'un proche et ont rencontré l'agresseur. Les effets ont été clairement bénéfiques. « Fin des cauchemars, paix intérieure, retour du goût à la vie... Et des impacts assez immédiats après la rencontre. Mais même avant, le fait de partager son expérience avec le médiateur est très bénéfique. »

La justice réparatrice a aussi pour effet de faire baisser le taux de comparution devant les tribunaux ainsi que le taux de récidive. Sur ce dernier point, toutefois, les spécialistes sont prudents. Louise Hogue, directrice aux services nationaux de la prévention du crime à la Gendarmerie royale du Canada, croit qu'on ne doit pas baser les attentes de la justice réparatrice sur la baisse du taux de récidive.

« Il y a des raisons pour lesquelles des gens tombent dans la criminalité. Parfois c'est par ce qu'ils ont été victimes de violence, d'abus, qu'ils souffrent de dépression, de troubles d'apprentissage, de l'influence de parents criminels... Et parfois, les excuses ne suffisent pas à enlever au contrevenant le goût de recommencer. »