Les gangs de rue prennent de plus en plus de place dans l'industrie du sexe à Montréal. Leur spécialité : l'exploitation des mineures. Les policiers ne ferment pas les yeux, mais ce sont des enquêtes complexes. Les victimes sont très réticentes à témoigner, et encore plus à incriminer le gang de leur proxénète.

 Dans 20 % des enquêtes du module sur l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales de la police de Montréal, le proxénète est lié à un gang de rue. Et ce n'est que la pointe de l'iceberg, avertit le lieutenant-détective Guy Bianchi, de ce groupe d'enquêteurs spécialisés. Les rares adolescentes prêtes à témoigner contre leur proxénète craignent d'identifier le gang auquel il est relié par peur de représailles. «Dans la majorité de nos enquêtes sur des gangs de rue, on va mettre l'accent sur la drogue et moins sur le proxénétisme. C'est une question de chances de succès. Pour accuser quelqu'un de proxénétisme, ça nous prend une victime, tandis que si on trouve quelqu'un en possession de stupéfiants, on l'accuse tout de suite», explique le lieutenant-détective Bianchi.

Les sept enquêteurs de ce module spécialisé, créé il y a quatre ans, sont débordés. Depuis le début de l'année, ils ont traité 74 dossiers de proxénétisme impliquant des mineures, ainsi que 163 dossiers de pornographie juvénile et de leurre d'enfants (de janvier à juin). De ce nombre, seulement 21 dossiers ont conduit à des mises en accusation pour l'instant. Parmi les 74 victimes identifiées, 34 avaient moins de 14 ans.

Les membres de gangs estiment qu'ils courent peu de risque en recrutant des jeunes filles. « Les gars disent qu'ils ne se font pas prendre, et si oui, qu'ils écopent de peines ridicules », explique la sexologue Évelyne Fleury, auteure d'une recherche exploratoire sur la sexualité des jeunes membres de gangs à Montréal. «Si c'est si terrible de recruter des mineures, pourquoi on n'a pas de misère à trouver des clients ? ont-ils fait valoir à la sexologue. Et pourquoi les clients ne se font jamais prendre ?»

Les policiers éprouvent de la difficulté à convaincre les victimes de témoigner. Et pour cause : «Quand j'ai commencé comme enquêteur, j'ai été surpris par la gravité des actes de violence commis par les gars de gangs. Ils mettent des guns sur la tête des filles. Elles sont marquées au fer, battues, brûlées. Ils tuent leur animal de compagnie pour leur faire peur», raconte le lieutenant-détective Bianchi. Pour les empêcher de les dénoncer, les proxénètes impliquent aussi les filles dans d'autres crimes comme le trafic de drogues.

Quand une adolescente porte plainte, la police la confie au centre jeunesse. Sauf que les gars réussissent à les menacer par l'entremise d'autres filles. «Quand les filles reçoivent des menaces, on arrête tout le gang. Ça met de la pression sur le proxénète», indique le policier. La police est toutefois impuissante face aux filles toujours en amour avec leur souteneur, malgré tout ce qu'elles ont subi.

Si ces victimes ne cognent pas souvent à la porte de la police, elles ne vont pas davantage vers des organismes comme Stella, un groupe de défense des «travailleuses du sexe». «On en a rencontré une peut-être en cinq ans», dit Jennifer, de Stella.

Même son de cloche chez Médecins du monde, qui offre des soins de santé aux prostituées dans la métropole. Dans un secteur d'Hochelaga-Maisonneuve, l'infirmière Pénélope Boudreault a récemment observé des filles «plus jeunes, plus renfermées» surveillées de près par des hommes noirs. «On n'a pas encore de contacts avec ces filles. Elles ne viennent pas vers nous comme les autres femmes», indique l'infirmière.