Le gouvernement péquiste risque de devoir payer d'importants dédommagements aux actionnaires de Mine Jeffrey s'il annule le prêt consenti par le précédent gouvernement.

Dans le milieu des affaires, des banquiers et des avocats constatent que la décision du Parti québécois ne devrait pas être sans conséquence. Elle pourrait même coûter des millions de dollars.

À la fin du mois de juin, rappelons-le, le gouvernement du Québec a accordé un prêt de 58 millions à Mine Jeffrey par l'entremise d'Investissement Québec. Le prêt a été officialisé par un décret ministériel et un acte d'hypothèque. En contrepartie, les actionnaires ont injecté 25 millions, une bonne partie provenant de la société Ulan Marketing, de Thaïlande.

Or, la chef péquiste, Pauline Marois, a clairement annoncé, le 29 août, son intention d'annuler le prêt une fois son parti élu.

Règle générale, les contrats de prêt n'empêchent pas un financier comme Investissement Québec d'annuler son financement, nous ont dit deux banquiers et deux avocats. Toutefois, «il est bien possible que le gouvernement s'expose à une poursuite en dommages», selon Patrick Ouellet, avocat chez Woods.

«Si toutes les conditions ont été remplies par la mine, Investissement Québec aura de la difficulté à s'en sortir sans payer des dommages», affirme un autre avocat sous le couvert de l'anonymat.

Évidemment, les avocats émettent leurs opinions sous réserve des clauses du contrat entre Investissement Québec et Mine Jeffrey. Toutefois, la jurisprudence dans ce genre de situation permet de penser que le gouvernement devra payer des dommages équivalant aux pertes subies par les actionnaires dans cette affaire.

Un précédent

À ce jour, le gouvernement a déjà versé 7 des 58 millions promis. Cette somme sera perdue en partie si le projet est annulé. Le reste des fonds est gelé en attendant une décision du nouveau gouvernement, dit la porte-parole d'Investissement Québec, Chantal Corbeil. Une telle annulation de prêt serait une première à Investissement Québec.

Les actionnaires de Mine Jeffrey ont aussi commencé à engager des fonds. Le porte-parole de la société, Guy Versailles, affirme que les actionnaires ont respecté toutes les conditions fixées par le gouvernement. «On a droit, comme entreprise, au respect du contrat», dit M. Versailles, qui ne veut toutefois pas spéculer sur une éventuelle poursuite en dommages.

Il rappelle que le gouvernement libéral et le ministre Clément Gignac ont donné leur accord par décret à une aide financière à la mine dès le mois d'avril 2011.

La jurisprudence en la matière se fonde sur un jugement de la Cour suprême rendu en mai 1990. La cause opposait la famille Houle - des entrepreneurs - à la Banque Nationale. La Cour a donné raison à la famille Houle et déclaré que la banque avait abusé de ses droits en rappelant son prêt trop rapidement, ce qui avait causé la liquidation de l'entreprise familiale.

Depuis plusieurs années, l'amiante est au banc des accusés parce qu'il est cancérigène et cause la mort de plus de 100 000 personnes par année, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

L'un des administrateurs de Mine Jeffrey est Uran Kriewsakul, président d'Ulan Marketing, firme établie en Thaïlande. En juillet, M. Kriewsakul a nié la dangerosité de l'amiante lors d'un débat dans ce pays. «Il n'a pas été prouvé que l'amiante cause la mort. Si la Thaïlande y met fin, ce sera l'équivalent d'exécuter un innocent», a-t-il affirmé.

Le débat avait lieu dans le contexte des intentions du gouvernement thaïlandais de bannir totalement l'amiante dans un avenir rapproché. L'amiante du Québec, paradoxalement, doit notamment servir à approvisionner les usines d'Ulan.