Où est l'amiante? L'amiante est partout. C'est ce que révèlent des analyses réalisées à la demande de La Presse dans la résidence de cinq de ses lecteurs par la firme Gesfor Pinchin Poirier.

«Tous les bâtiments construits avant 1985 contiennent de l'amiante, tranche Maxime Veilleux, de Gesfor. Au début du XXe siècle, on a commencé à en utiliser notamment dans le plâtre sur baguettes. C'est le plâtrier qui ajoutait de l'amiante dans son plâtre, ce qui permettrait à ce dernier de sécher plus rapidement.»

«Ensuite, même avec les murs en placoplâtre, le ciment à joints en contenait. Ce produit manufacturé avec de l'amiante a été vendu jusque dans les années 1980-1981.»

On trouve de l'amiante dans une grande variété de matériaux, de la cave au grenier.

Les panneaux acoustiques des plafonds suspendus peuvent en contenir, mais il faut les faire analyser. Il y a une infinité de modèles et il n'existe aucun guide fiable.

Même chose pour les carreaux en vinyle. Les apparences peuvent être trompeuses: la boîte d'origine du produit peut dire qu'il en contient alors qu'il n'y en a pas.

La pièce où se trouve l'appareil de chauffage peut toujours receler une plaque d'amiante dans une forme friable, dont on recommandera le retrait si elle est en mauvais état.

Des inspecteurs racontent avoir trouvé de l'amiante dans des endroits insoupçonnés, par exemple autour des diffuseurs du système de chauffage central dans une résidence cossue.

Une leçon à retenir: les coûts d'enlèvement sont si élevés que la première étape, celle de l'analyse, demeure incontournable. Une résidence typique peut être analysée pour environ 1500$.

«Le nombre d'échantillons dépend de la surface de la résidence, dit Frédéric Foley-Boisvert, chargé de projet chez Gesfor Pinchin Poirier. Par exemple, pour une superficie de 95 à 140 m2 (1000 à 1500 pi2), on prend cinq échantillons de mur et cinq de plafond. On peut ajouter quelques autres matériaux, comme les panneaux acoustiques et les carreaux de vinyle, pour quatre à six échantillons de plus. Il faut compter environ 400$ pour le relevé, 800$ pour l'analyse et 300$ pour la rédaction du rapport. Donc un total d'environ 1500$.»

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Trois risques, trois factures

Les coûts de l'enlèvement de l'amiante augmentent selon le risque. Le Code de sécurité pour les travaux de construction prévoit trois degrés de risque. Aux fins de ce code, on considère qu'on est en présence d'amiante dès qu'un matériau en contient 0,1%.

Travaux à risque faible

Protection demi-masque. Port d'un survêtement jetable recommandé. Pas besoin de créer une zone étanche.

Par exemple: enlèvement de carreaux de vinyle.

Travaux à risque Modéré

Zone de travail étanche avec des toiles, mais sans ventilation à pression négative. Survêtement jetable et demi-masque. Pas d'outils électriques qui pulvérisent le matériau, sinon le risque devient élevé.

Par exemple: enlèvement de petites quantités de matériaux friables contenant de l'amiante dont le volume de débris n'excède pas 0,03/m3

Travaux à risque Élevé

Douche, zone étanche, ventilation à pression négative. Masque complet. Tests d'air journalier et final, surveillance d'un consultant, gestion serrée des déchets.

Par exemple: manipulation ou enlèvement de matériaux friables contenant de l'amiante.

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Cas 1: TRAVAUX À RISQUE ÉLEVÉ


La situation

Une maison individuelle du quartier Ahuntsic, construite en 1947. La propriétaire l'a achetée en 2000. Elle soupçonne qu'une plaque fixée au-dessus de la chaudière est faite d'amiante. Cela n'était pas mentionné dans le rapport d'évaluation rédigé lors de l'achat de la maison. «Je ne sais pas si, il y a 12 ans, on connaissait les risques», dit la propriétaire. C'est son père, ingénieur, qui l'a mise sur la piste. Quand elle a joint La Presse, elle avait déjà une estimation pour l'enlèvement de la plaque. Le coût: environ 1500$. La propriétaire craint particulièrement que l'amiante se soit répandu dans toute la maison. «Quand le chauffage démarre, toute la maison tremble», dit-elle.

L'analyse

Dans un premier temps, des échantillons de la plaque sont recueillis. Puis, trois échantillons de poussière seront prélevés, dont un dans l'entrée d'air du système de chauffage.

Les résultats

Le laboratoire confirme que les panneaux sont composés à au moins 50% d'amiante chrysotile. L'analyse des poussières ambiantes révèle qu'elles étaient exemptes d'amiante.

Les recommandations

«Les panneaux fibreux présents au plafond étaient dans un état allant de bon à mauvais lors du relevé. De plus, un débris de panneau était visible sur une armoire de la salle de lavage.»

«Vu l'état des matériaux, nous recommandons de procéder à l'enlèvement complet des panneaux fibreux ainsi que de tout débris ou matériau contaminé et de procéder à un nettoyage avec aspirateur HEPA des secteurs touchés par les travaux.»

La réaction

«L'analyse confirme que je serais mieux d'enlever la plaque. Ça montre que j'avais pris la bonne décision. La méthode proposée correspond à ce que l'entrepreneur voulait faire, alors ça me rassure. La deuxième série d'analyses me rassure aussi. J'étais inquiète pour moi et pour ma fille parce qu'une des entrées d'air du système de chauffage était juste en dessous de la plaque.»

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Cas 2: TRAVAUX À RISQUE ÉLEVÉ

La situation

Un plex du quartier Villeray construit en 1926. Les propriétaires l'ont acheté en 2004. Le rapport d'inspection ne mentionnait pas la plaque d'amiante au-dessus de la chaudière. «L'inspecteur l'a vue, mais il n'a rien dit», dit le propriétaire. Il s'étonne tout de même que personne ne l'ait alerté avant, en particulier deux plombiers venus faire des travaux en 2004 et en 2006. «On dirait que ce n'était pas une préoccupation pour eux», dit-il.

L'analyse

Des échantillons de deux plaques différentes sont prélevés. Une plaque est de texture friable, l'autre est dure comme du ciment. Au passage, l'inspecteur prend aussi des échantillons de panneaux acoustiques au plafond du sous-sol et de plâtre au rez-de-chaussée.

Les résultats

Le laboratoire confirme que les deux plaques contiennent de l'amiante: de 25% à 50% dans un cas et de 10% à 25% dans l'autre. Mais il n'y en a pas dans les panneaux acoustiques. Pour ce qui est du plâtre, l'amiante n'est détecté qu'à l'état de traces (moins de 0,1%).

Les recommandations

«Les panneaux fibreux ainsi que ceux en fibrociment présents au plafond étaient dans un état allant de bon à mauvais lors du relevé.»

«Vu l'état des matériaux, nous recommandons de procéder à l'enlèvement complet des panneaux fibreux et de fibrociment ainsi que de tout débris ou matériau contaminé et de procéder à un nettoyage avec aspirateur HEPA des secteurs touchés par les travaux.» La réaction

«Faire tout ça avec ces précautions, c'est sûr que c'est sécuritaire, mais les coûts seront disproportionnés. Beaucoup de gens vont faire ça eux-mêmes en prenant des précautions minimales. Moi, je pense que je vais le faire moi-même, avec un masque approprié et un aspirateur muni d'un filtre HEPA.»

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Cas 3: TRAVAUX À RISQUE FAIBLE

La situation

Une maison individuelle construite en 1959 à Saint-Jérôme. Le propriétaire en a hérité de ses parents. Il sait que les carreaux qui couvrent le vaste sous-sol depuis sa construction sont susceptibles de contenir de l'amiante. Il se demande s'il doit intervenir. Il a aussi des projets de rénovation dans la cuisine et se demande s'il y a de l'amiante dans le couvre-plancher.

L'analyse

Au sous-sol, des échantillons de carreaux et de colle sont prélevés séparément parce que chaque élément est susceptible de contenir de l'amiante. Dans la cuisine, on prélève un échantillon de linoléum.

Les résultats

L'analyse permet de détecter une proportion de 1% à 5% d'amiante chrysotile dans les carreaux, mais pas dans la colle. Et aucun amiante n'est détecté dans le linoléum.

Les recommandations

«Les carreaux de plancher contenant de l'amiante situés dans le bâtiment étaient en bon état lors du relevé. Leur enlèvement n'est donc pas recommandé, car ils sont dans un état non friable (aucune dispersion de fibres dans l'air).»

S'il y avait enlèvement, ce seraient des travaux à risque faible.

La réaction:

«Il n'y a pas d'amiante dans la colle et il n'y en pas beaucoup dans les carreaux. Et les matériaux sont en bon état, donc ils ne posent pas de danger. C'est très solide, c'était de la qualité! La preuve, c'est qu'après 53 ans, elles sont encore là. Alors on n'y touchera pas. Et dans la cuisine, la rénovation pourra se faire sans prendre de précaution particulière.»

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Cas 4: TRAVAUX DE RISQUE MODÉRÉ À ÉLEVÉ

La situation

En décembre 2011, une lectrice de La Presse a vu sa mère succomber au mésothéliome, une forme de cancer dont on ne connaît d'autre cause que l'exposition à l'amiante. Elle s'est demandé où sa mère avait pu être exposée à la substance. Elle avait vécu 20 ans dans le même appartement, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, dans une tour d'habitation construite vers 1970.

L'analyse

Dans l'appartement, le technicien soupçonne que le revêtement du plafond, un stuc légèrement bosselé, contient peut-être de l'amiante. Un échantillon est prélevé, ainsi que de la poussière sur le sol.

Les résultats

Le fini décoratif contient de 1% à 5% d'amiante. La poussière n'en contient pas.

Les recommandations

«Le fini décoratif présent au plafond était en bon état lors du relevé. Son enlèvement n'est donc pas recommandé, car il est dans un état non friable (aucune dispersion de fibres dans l'air).»

S'il devait y avoir des travaux, ils seraient de risque modéré à risque élevé, selon le volume de déchets générés.

La réaction

«Ça me donne peut-être un indice de la provenance de la maladie de la mère. En tout cas, ça n'a sûrement pas aidé. Mais est-ce qu'il y en a d'autres? Est-ce qu'il y en avait sur son lieu de travail?»

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Cas 5: TRAVAUX DE RISQUE MODÉRÉ À ÉLEVÉ

La situation

Au moment de planifier des travaux, le propriétaire d'un plex du Plateau Mont-Royal datant d'environ 1920 s'aperçoit que des carreaux en vinyle posés par le propriétaire précédent dans le sous-sol contiennent peut-être de l'amiante. En effet, des caisses de carreaux non utilisés comportent des avertissements à cet égard. L'estimation pour leur enlèvement sécuritaire atteint près de 3000$. «Ça entamerait sérieusement notre budget pour l'aménagement du sous-sol», dit le propriétaire.

L'analyse

Des échantillons de carreaux et de colle sont pris séparément, car chaque matériau peut contenir de l'amiante. De plus, trois types de carreaux acoustiques au plafond du sous-sol sont échantillonnés, ainsi que du plâtre d'origine au rez-de-chaussée.

Les résultats

Aucun amiante dans les carreaux en vinyle ni dans leur colle. Aucun amiante dans les carreaux acoustiques non plus. Cependant, de l'amiante chrysotile est détecté dans le plâtre d'origine de la maison, à une teneur de 0,1% à 1%.

Les recommandations:

«Le plâtre présent sur les murs était dans un état allant de bon à passable lors du relevé. Son enlèvement complet n'est donc pas recommandé, car il est généralement dans un état non friable (aucune dispersion de fibres dans l'air). Cependant, vu la présence de quelques sections abîmées, veuillez noter que la réparation des bordures de murs pourrait être effectuée à titre préventif.»

Si des travaux d'enlèvement ou de réparation sont prévus sur le plâtre, ils seraient de risque modéré à risque élevé, dépendant du volume de débris.

La réaction

«Je suis soulagé pour les carreaux. Cela montre que, dans le domaine de l'amiante, il ne faut pas se fier aux étiquettes. Mais je suis contrarié pour le plâtre. Il y a eu des travaux sans aucune précaution il y a deux ans. Toute la famille a été exposée, ainsi que les travailleurs. Et je pense au propriétaire précédent, qui avait fait des réaménagements majeurs. Je parie que lui non plus n'avait pas pris de précaution. En tout cas, la présence d'amiante va limiter les modifications qui pourront être faites dans les logements du plex.»