Les critiques fusent de toutes parts. Certaines sont justifiées, d'autres exagérées. Mais une chose est sûre: il faut une sacrée dose de discipline et de motivation pour concilier hockey et études dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Anatomie d'un système qui a ses ratés.

Dans la LHJMQ, Vincent Bourgeois joue 68 matchs par année avec le Junior de Montréal. Il se tape environ 20 000 km en autocar, soit au total neuf jours complets à dormir, manger et étudier sur la route.

 

Dans la National Collegiate Athletic Association (NCAA), Pier-Olivier Michaud joue 29 matchs et parcourt 8400 km par an avec le Crimson de l'Université Harvard, principalement les week-ends, ce qui lui laisse toute la semaine pour ses études universitaires.

Le hockey universitaire américain a un autre avantage. Pier-Olivier Michaud vit au campus et côtoie quotidiennement des coéquipiers qui vont tous à l'université. «Souvent, au vestiaire, dit-il, des gars qui suivent les mêmes cours vont discuter d'un examen difficile ou d'un travail à remettre.»

Vincent Bourgeois n'a pas cette chance. Le jeune homme de Rosemère est une exception. Pendant le week-end où nous l'avons suivi en Abitibi, il profitait de chaque moment pour passer en «mode scolaire» pendant que d'autres regardaient un film sur leur ordinateur portable ou écoutaient de la musique sur leur iPod.

«Demandez à Vincent s'il peut jouer au hockey et faire ses études, dit Farrel Miller, propriétaire du Junior de Montréal. Et la réponse est très simple: bien sûr, il peut faire les deux.»

Mais tout le monde n'est pas capable de concilier hockey et études avec un calendrier aussi chargé et de longs voyages en autocar, pense l'ancien joueur Joé Juneau. «Moi, je suis sûr d'une chose: je n'aurais pas été capable de réussir à l'école en jouant dans la LHJMQ.»

Le hockey ou les études

François Olivier, qui est aujourd'hui président et chef de la direction de Transcontinental, se rappelle que les dirigeants des Castors de Saint-Jean, dans la LHJMQ, l'ont regardé d'une drôle de façon quand il leur a annoncé son intention d'aller au cégep, au début des années 80. «Personne n'avait pensé qu'un jeune de l'équipe voudrait aller à l'école...»

Daniel Shank, lui, a pris l'autre voie. Il n'a pas terminé son secondaire et a tout misé sur le hockey. Il n'avait qu'un rêve: jouer dans la LNH. Ses faits d'armes en 77 matchs dans la grande ligue: 13 buts, 14 passes et 175 minutes de punition.

Aujourd'hui, Daniel Shank, 41 ans, gagne sa vie en arbitrant des matchs de ligues de garage. Malgré son passage à la Ligue nationale, il doit donc travailler pour payer l'hypothèque et l'épicerie.

Philippe Lecavalier, agent de joueurs, connaît très bien la LHJMQ et la NCAA. Le frère aîné de Vincent Lecavalier a joué quatre ans avec l'Université Clarkson, dans l'État de New York, où il a également obtenu un diplôme en administration des affaires.

«Depuis huit ans que je suis agent, j'ai vu les choses changer. La LHJMQ a fait d'énormes progrès.»

Et il a raison. L'an dernier, 90 anciens joueurs se sont partagé 300 250$ en bourses d'étude, soit en moyenne 3336$ chacun. Les équipes junior paient aussi tous les frais liés à la scolarité des joueurs, rappelle Karl Jahnke, directeur des communications de la LHJMQ. Toutes les équipes ont un conseiller pédagogique. Et personne ne regarde Vincent Bourgeois de travers quand il dit qu'il veut étudier à plein temps au cégep. Au dernier trimestre, le Junior de Montréal a même proposé de lui payer un professeur privé quand on s'est rendu compte que son cours d'espagnol avait lieu en même temps qu'une des séances d'entraînement de l'équipe.

Pour Joé Juneau, c'est justement la preuve d'un système qui ne fonctionne pas. «Comme l'école entre en conflit avec le hockey, on propose au joueur de lui payer un prof privé. C'est très bien, sauf qu'on voit que la LHJMQ n'est pas adaptée aux contraintes scolaires.»

C'est pourquoi Louis Leblanc, premier choix des Foreurs de Val-d'Or en 2007, a préféré l'Université Harvard, qu'il intégrera l'an prochain. «C'est mon rêve de jouer dans la LNH, mais je ne dois pas négliger mes études, on ne sait jamais.»

Le jeune homme a de bonnes chances d'être sélectionné en première ronde au prochain repêchage de la LNH. Son raisonnement est simple: il sait que, s'il doit être repêché, il sera choisi peu importe qu'il joue dans la LHJMQ ou la NCAA. Il a opté pour la voie qui lui assure le meilleur plan B. «Certains m'ont dit que j'allais perdre mon temps, nuire à mes chances d'être repêché, souligne-t-il. Mais je crois que ma décision est la meilleure.»

Un problème qui reste entier

«On doit dénoncer ce genre de comportement de la part des agents et des équipes», affirme Joé Juneau, qui a vécu une situation semblable il y a 20 ans. Selon lui, malgré tous les efforts et la bonne volonté de la LHJMQ, le problème reste entier. La solution, dit-il, du moins pour les joueurs qui veulent réellement concilier hockey et études, se trouve du côté de la future ligue collégiale, qui verra le jour en 2010. «La LHJMQ aura toujours sa place, mais il faut aussi une ligue où il n'y a pas trop de parties, pas trop de voyages, des entraînements aux mêmes heures chaque semaine.»

Un défi de taille pour la LHJMQ. André Bourgeois, le père de Vincent Bourgeois, est de ceux qui applaudissent aux efforts de la ligue ces dernières années. Mais, du même souffle, il admet que ce qui nuit le plus aux joueurs, c'est l'étalement géographique des équipes. La LHJMQ compte 18 équipes, dont six dans les Maritimes et une aux États-Unis.

«Avoir des équipes dans les Maritimes, c'est vraiment très bon pour la santé de la ligue. C'est bon pour les intérêts commerciaux de la LHJMQ, affirme Farrel Miller, propriétaire du Junior de Montréal. Et je ne pense pas que ce soit mauvais pour les joueurs. On ne joue pas contre Halifax huit fois par année. On a deux voyages là-bas pendant toute la saison. Il y a des jeunes du secondaire qui font plus de voyages avec leur école que nos deux voyages dans les Maritimes. Ce n'est vraiment pas grand-chose, c'est une bonne expérience pour les jeunes.»

Mais ces jeunes joueurs sont néanmoins aux prises avec une réalité qui n'existait pas il y a 20 ans. «À mon époque, on rentrait à la maison presque tous les soirs quand on jouait à l'extérieur. Le plus loin qu'on allait, c'était à Chicoutimi quatre fois par année», rappelle Jean Bourgeois, qui a défendu les couleurs du Junior de Verdun au début des années 80.

Farrel Miller conteste cette autre critique souvent formulée contre la LHJMQ. «Ce n'est pas vrai que les propriétaires font de l'argent sur le dos des jeunes, dit-il. C'était peut-être comme ça dans les années 70 et 80, mais plus aujourd'hui.»

La LHJMQ, qui fête cette année ses 40 ans, saura-t-elle se renouveler et profiter de l'incroyable popularité du hockey pour en faire un véritable projet éducatif? C'est le souhait de Philippe Lecavalier. «La ligue doit aussi envoyer un message fort. Un jeune qui ne voudrait pas aller à l'école ou qui ne mettrait pas les efforts requis pour apprendre un métier ne devrait pas pouvoir jouer dans la LHJMQ. Les équipes doivent demander à leurs jeunes: «C'est quoi, ton plan B, si ça ne marche pas au hockey?»»

 

Une carrière dans la LNH

Très léger avantage à la LHJMQ

C'est bien connu, les chances de «faire» la Ligue nationale de hockey pour un jeune joueur sont faibles, pour ne pas dire microscopiques. Peu importe qu'on fasse partie de la LHJMQ, la NCAA ou tout autre circuit de développement. Être repêché ne garantit pas une longue carrière. Plusieurs joueurs choisis en première ou en deuxième ronde ont joué seulement un, cinq ou 20 matchs dans la LNH.

LHJMQ

De 1995 à 2007, 7,6% des joueurs de la LHJMQ ont été repêchés par une équipe de la LNH.

De ce nombre, 2,6% ont joué au moins un match dans la LNH à ce jour.

NCAA

De 1995 à 2007, 1,5% des joueurs de la NCAA ont été repêchés par la LNH.

0,6% ont joué au moins un match à ce jour dans la LNH.

Sources: Hockey Database, LHJMQ et NCAA.