Arrêtés en marge du coup de force qui a détruit le repaire fortifié des Hells Angels, à Sorel, Jacques Beaulieu, Steve Carbonneau et Stéphane Blanchette avaient l'air davantage embarrassés que nerveux, hier, au moment de leur retour éclair devant le tribunal.

Ayant tous trois des antécédents judiciaires, les prévenus n'ont pas semblé impressionnés en entrant dans le box des accusés, face à une salle occupée en grande partie par des journalistes. Cette seconde comparution depuis leur arrestation la semaine dernière a duré le temps que la juge Élizabeth Corte, de la Cour du Québec, remette au 7 novembre l'audition de leur demande de mise en liberté.

 

«Ce n'est pas bénin comme accusations, et je dois prendre connaissance du dossier avant de procéder. Je ne sais même pas qui ils sont», a expliqué Me Marcel Guérin, à l'issue de l'audience. Il représente Steve Carbonneau, 40 ans, de Sorel, et son oncle, Jacques Beaulieu, 54 ans, qui vit en Abitibi. Les deux hommes font face à six chefs d'accusation liés à l'incendie de l'immeuble de la rue Fiset, ainsi qu'à l'attentat qui a rasé le château fort des Hells, dans la soirée du 18 octobre. Ils sont aussi inculpés du vol du camion-citerne qui a servi pour enflammer l'immense bunker de la rue du Prince.

À en croire les dénonciations déposées devant le tribunal, Blanchette, 40 ans, qui réside dans la région de Sorel, fait bande à part. Il n'aurait rien à voir avec l'incendie du repaire rouge et blanc du gang de motards. Les trois accusations portées contre lui ont trait à l'incendie allumé avec de l'essence qui a endommagé le commerce et l'appartement situés aux 116 et 118 Fiset, à Sorel-Tracy. Assis tout au bout du banc des accusés, il paraissait plus soucieux que Carbonneau et Beaulieu.

«En ce qui me concerne, c'est un dossier d'accusation comme tant d'autres, si ce n'est qu'il s'agit d'un bunker. Après tout, ce n'est pas l'incendie de la résidence de mère Teresa. D'autant que la prison est remplie de sympathisants des motards», a déclaré Me Guérin, afin de bien faire comprendre à tout le monde que ses clients devaient être gardés sous haute surveillance en prison. Il dit les avoir rencontrés une seule fois jusqu'à maintenant.

La thèse d'une guerre intestine vite écartée

L'enquête de la Sûreté du Québec a progressé rapidement grâce aux témoins qui disaient avoir aperçu une camionnette de couleur bleu métallique avec deux hommes à bord dans les instants qui ont suivi l'incendie du bunker. Divers autres indices assez révélateurs, comme la présence de motocyclettes, d'un fauteuil roulant ayant déjà appartenu à feu Robert «Tiny» Richard, ancien président national des Hells, ainsi que des plaques souvenirs chères aux motards trouvés dans les débris de la forteresse incendiée, ont permis aux enquêteurs d'écarter rapidement la thèse d'une commande ou d'une guerre intestine.

«À voir la mine déconfite des motards venus sur les lieux, on était à peu près certain qu'ils n'avaient rien à voir dans ça. Une autre chose à peu près sûre: ils ne voulaient pas faire un coup d'argent, car le bunker n'était pas assuré», d'expliquer à La Presse un haut responsable de la SQ.

Grâce à leur service de renseignement, les policiers de la SQ savaient aussi très bien qu'il n'y avait aucun conflit dans l'air avec d'autres bandes de motards, d'ici ou d'ailleurs. C'est ainsi que, dès le dimanche matin, les enquêteurs tendaient déjà à croire que l'affaire avait une forte saveur locale ou régionale. «Il aurait pu s'agir d'un attentat sur commande, mais on penchait déjà vers une ou des personnes en conflit majeur avec les motards. Mais on était loin de penser qu'il s'agirait d'une banale histoire de triangle amoureux», a dit à La Presse un haut responsable de la SQ.

Principal instigateur de l'assaut contre le bunker des Hells, Steve Carbonneau aurait tout manigancé après avoir été pris à partie à au moins deux reprises par le motard épris de sa compagne. Ayant appris que Carbonneau lui cherchait noise, il l'aurait forcé à quitter Sorel en lui braquant le canon d'une arme dans la bouche. Effrayé, Carbonneau s'est «exilé» en Abitibi, où il a mûri sa vengeance avec son oncle. Il s'est ensuite assuré l'aide de Blanchette, un ami de longue date.

Résidant de Sorel, Carbonneau en avait déjà apparemment gros sur le coeur depuis plusieurs années à l'endroit du gang de motards venu s'installer dans son patelin en 1981.