Des experts québécois en matière de droits de l'homme estiment que le Canada a désormais perdu tout l'ascendant qu'il avait sur la scène internationale en ce domaine.

«Partout les gens nous disent: On ne reconnaît plus le Canada», déplore Me Jacques Frémont, vice-recteur aux affaires internationales à l'Université de Montréal et expert retenu par la Francophonie en matière de droits et libertés.

Jean-Louis Roy, qui, il y a 15 mois encore, dirigeait Droit et démocratie, un organisme canadien, est du même avis : «La façon dont on en parle, c'est comme si les pays occidentaux étaient au-dessus de tout soupçon!» Un rapport récent du Conseil des droits sur la France est pourtant décoiffant. «On renvoie des gens dans leur pays enchaînés dans les avions, l'Europe condamne les prisons françaises depuis 20 ans.»

Le Canada a quelques problèmes sérieux, dit Jean-Louis Roy, longtemps associé à la Francophonie comme directeur de l'ACCT, la défunte agence de coopération culturelle et technique. «Un de nos concitoyens est à Guantanamo avec l'accord de notre gouvernement», signale-t-il. De plus, depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs de Stephen Harper, «on ne sait plus où se situe le Canada dans le monde sur ces questions».

À Genève, au Conseil des droits de l'homme, le Canada a adopté une position contraire à ce qu'il a toujours prôné en se prononçant, avec seulement quatre ou cinq pays, contre la reconnaissance des droits des Autochtones. «Les gens nous disent : "Qu'arrive-t-il au Canada? Vous n'êtes nulle part et, quand on vous voit, vous êtes les sous-traitants des Américains"», lance Jean-Louis Roy.

«Le Canada, qui avait une crédibilité, une légitimité sur ces questions, est constamment isolé, déplore Me Frémont. Le départ de Louise Arbour est un exemple; même Israël, qui avait eu à souffrir de ses décisions comme juge du tribunal pénal international, a salué son départ. Le gouvernement canadien, lui, n'a pas levé le petit doigt. Il a fait écho aux Américains.» L'universitaire constate un changement très clair dans la politique étrangère du Canada.

Le pire, selon lui, c'est que le rôle du Canada dans le monde, «le pays de Lester B. Pearson», n'a pas même été abordé dans la récente campagne électorale.

Or, «le Canada ne fait pas sa juste contribution à la Francophonie», croit Me Frémont. Au printemps 2006, les conservateurs, qui venaient d'être élus, ont approuvé un programme «audacieux, interventionniste» lors d'une conférence ministérielle à Saint-Boniface. «Depuis, le Canada n'a pris aucune mesure supplémentaire pour la mise en oeuvre de cette déclaration», observe Me Frémont.

Progrès de la Francophonie

Jean-Louis Roy croit que la Francophonie a nettement progressé en matière de respect des droits. «Si vous prenez la table de la Francophonie au sommet de Dakar, en 1989, sans exagérer, plus de la moitié des leaders en présence n'avaient jamais eu à composer avec de véritables élections.»

«Cela a quand même changé, poursuit M. Roy, presque dans tous les pays. La plupart des chefs d'État, ici, ont subi le test électoral, et les ONG peuvent intervenir beaucoup plus librement. Les titres indépendants se sont multipliés, se sont ajoutés à la presse officielle. Une culture démocratique est apparue dans bien des pays», observe l'ancien directeur du quotidien Le Devoir.

Jacques Frémont, lui, estime que la déclaration de Bamako, en 2000, dans laquelle les pays de la Francophonie avaient décidé de suspendre les membres qui ne respectent pas les droits de l'homme, était très ambitieuse. «Il n'y a pas un leader au monde qui aime être mis au ban», résume-t-il. Les dérapages importants, comme les événements de Mauritanie cet été, sont somme toute peu nombreux.

Me Frémont nuance par ailleurs l'évaluation de Jean-François Julliard, de Reporters sans frontières, selon qui le Commonwealth sévit avec beaucoup plus de rigueur que la Francophonie contre les États membres qui font fi des droits de l'homme. «Avant que le Commonwealth ne suspende le Zimbabwe ou le Nigeria, il a fallu des violations massives des droits de l'homme.»

Mais beaucoup de pays africains passent sous silence la question embarrassante du respect des libertés fondamentales. En point de presse hier, le nouveau premier ministre de Guinée, Ahmed Tidjane Souaré, a affirmé que son pays était sans tache.

«Je suis heureux de vous dire que chez moi, en Guinée, il n'y a aucun prisonnier politique; personne n'est emprisonné pour ses opinions; c'est un pas important pour la promotion des droits de l'homme.»

«Naturellement», tous les pays n'affichent pas le même respect, a-t-il dit. Il s'est rebiffé quand un reporter a parlé de sanctions : «On est une famille, la Francophonie. En famille, on se concerte, on discute, on établit une discipline et on invite tout le monde à la respecter. En matière de relations internationales, la sévérité est relative. Il faut d'abord encourager nos membres à promouvoir les droits avant d'en arriver aux sanctions strictes.»

Or, dans le rapport qu'il a préparé pour le sommet de Québec, l'organisme Amnistie internationale dresse une longue liste d'exactions commises par le gouvernement de Conakry. Plus de 135 personnes ont été tuées par la milice gouvernementale lors de manifestations exigeant le départ du président Lansana Conté.