Chaque vendredi que Dieu amène, une poignée de jeunes Louisianais s'attablent devant un gumbo bien fort dans un restaurant de Lafayette. Ils ont une étiquette bien particulière: à table, seul l'usage du français est permis.

Le barde louisianais Zachary Richard raconte l'anecdote de ces «jeunes Gaulois» avec émotion. Il ne se fait pas d'illusions; la force d'assimilation de l'anglais reste immense, dominante. Mais ces simples gestes quotidiens lui disent à l'oreille que tout n'est pas joué. Une nouvelle génération de jeunes, lettrés, bilingues, est apparue en Louisiane, après une vingtaine d'années de silence des francophones.

 

Zachary Richard était à Québec pour assister, avec une brochette de personnalités, à la première réunion du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques. «Quand on me l'a proposé, j'ai hésité. J'ai déjà vu de ces projets bien intentionnés qui n'ont rien donné, par manque de moyens ou à cause d'une vision ringarde de la francophonie. J'avais une grande méfiance, mais je me suis dit que c'était trop beau pour ne pas essayer», a-t-il expliqué hier à l'inauguration du Centre.

Vitrine de la francophonie du continent -33 millions de personnes parlent ou apprennent le français dans les deux Amériques-, le Centre avait plutôt l'air d'une rampe de lancement, hier. Fébrilement, les ouvriers s'affairaient à donner une dernière couche de vernis, quelques heures avant l'inauguration par les premiers ministres François Fillon et Jean Charest.

Le Centre de la francophonie loge dans une ancienne banque du siècle dernier au 2, côte de la Fabrique. Son aménagement, oeuvre des architectes français Franklin Azzi et Paul Armand Grether, constitue le legs de la France à la ville de Québec pour son 400e anniversaire.

«Legs de la France»

Cette histoire de «legs de la France» pour le 400e est un feuilleton qui a pendant des mois défrayé la chronique à Québec. L'ancien maire, Jean-Paul L'Allier, voulait à l'origine que la France contribue à la mise en place d'un escalier monumental qui aurait relié la basse ville à la haute ville. Les Français n'ont guère apprécié de se voir ainsi «suggérer» leur cadeau. Puis la France a proposé plutôt une reconstitution à l'identique de la Halle aux grains de Brouage, la ville natale de Champlain. Cette fois, la mairesse André Boucher s'est opposée: pas question de sacrifier un parc sur la colline parlementaire. Comme le temps pressait, Québec et Paris se sont entendus pour converger vers le projet de Centre de la Francophonie, un engagement qu'avait pris Jean Charest en 2003. La participation de la France au projet est très discrète -une Marianne symbolique se trouve à l'entrée. Paris a payé deux des six millions qu'ont coûté l'aménagement.

Sur des écrans géants défilent à la demande des textes d'écrivains francophones qui décrivent leur vie quotidienne. La musique de toute la francophonie se trouve là aussi, et on peut à volonté entendre un slammeur sénégalais ou une chanteuse manitobaine. «La culture est le meilleur véhicule de la francophonie, a dit Richard. C'est une histoire de coeur, il faut faire vibrer les jeunes. Je pense toujours à la façon dont les jeunes de ma communauté, en Louisiane, vont recevoir un projet.»

Sur l'internet

Au-delà de la vitrine francophone, qui tient sur quelques étages, le Centre va mettre énormément d'efforts sur l'internet -le webmestre de 27 ans vient d'arriver des Antilles. Pas moins de 350 000$, sur un budget de 2,2 millions, ont été aiguillés vers la création d'un portail francophone (www.francophoniedesameriques.com). On compte également créer un «Facebook» francophone.

Michel Robitaille, directeur général du Centre, a été pendant cinq ans le délégué du Québec à New York. Mais ses premières armes, il les a faites dans cette francophonie de brousse, en Louisiane, où il a enseigné le français de 1974 à 1978. Plus tard, il a créé Les Quatre saisons, une émission hebdomadaire sur les ondes d'une radio de Los Angeles. Près de 30 ans après son lancement, dit-il fièrement, elle est toujours diffusée.

Aux États-Unis, le français a longtemps été la langue chic. Il arrivait au premier rang dans la liste des langues secondes. Mais l'espagnol l'a fait dérailler. Et la Chine vient de débarquer -pour assurer son rayonnement, elle financera plus de 1000 centres de formation en mandarin dans le monde, un réseau calqué sur les Alliances françaises.

Zachary Richard n'a pas de lunettes roses quand il regarde la francophonie des minorités. «On ne doit pas se faire d'illusions. Ce centre ne vise pas à renverser les taux d'assimilation, mais il donne le moyen de s'exprimer à ceux qui veulent parler français. Souvent, les moyens mis à la disposition des francophones minoritaires sont folkloriques, dépassés. On ne veut pas faire concurrence à l'anglais, mais on veut offrir une modernité en français.»

Zachary Richard s'étonne parfois encore de la vigueur de la francophonie, lui qui baigne dans l'océan anglophone. «Après un spectacle en Acadie, la semaine dernière, je cherchais une poubelle. À un jeune qui se trouvait là, je demande: Where is the trash can? Il m'a répliqué: «La poubelle est là, couillon!» Et j'ai trouvé ça fabuleux!»