Quarante et un ans après le fameux «Vive le Québec libre» du général De Gaulle, Nicolas Sarkozy a écrit à son tour une page d'histoire dans les relations entre la France et le Québec. Certains politologues consultés par La Presse croient que ce revirement traduit un certain désintérêt du président de la République pour le Québec.

Fini l'époque des présidents plutôt favorables aux positions des souverainistes. «Nicolas Sarkozy vient de boucler la boucle avec les propos du général de Gaulle en s'ingérant lui aussi dans les relations entre le Canada et le Québec», observe Jean-Herman Guay, politologue de l'Université de Sherbrooke. 

«Les propos de Sarkozy sont nets, explicites, il n'y a plus de doute possible. Le président a fait son choix, celui d'appuyer le Canada, et on comprend que les nationalistes seront très déçus», affirme Jean-Herman Guay.

«Nous avons eu la démonstration que les souverainistes ont perdu le monopole des relations avec la France. Nicolas Sarkozy a même tutoyé Stephen Harper et l'a appelé simplement par son prénom», relève aussi Stéphane Paquin, politologue de l'Université de Sherbrooke.

Sarkozy a été fin stratège, ajoute M. Paquin. «Il sait lire les sondages, il voit bien que la question (de la souveraineté) n'est pas dans l'écran radar et qu'il n'avait rien à gagner à appuyer la cause des souverainistes.»

Le général de Gaulle voyait dans le Québec un allié très important qui aurait pu lui permettre de renforcer la place de la France dans le monde et asseoir son indépendance vis-à-vis du tandem Angleterre-États-Unis. À l'opposé, Nicolas Sarkozy projette aujourd'hui l'image du plus américain des présidents français. Il aime les Ray-Ban et le Canada de Stephen Harper. «C'est un américanophile. Il admire beaucoup les pays anglo-saxons, il fallait s'attendre à ce qu'il tienne un jour ce genre de propos», remarque ainsi Frédérick Mérand, professeur à l'Université de Montréal.

«Le Canada a réussi à se vendre en France comme un modèle à suivre pour la gestion des finances publiques, l'intégration des minorités culturelles. Sarkozy n'est pas le seul dans son parti, et les autres partis invoquent aussi le Canada comme un modèle à suivre», ajoute M. Mérand.

Une certaine lassitude

Luc Bernier, professeur de politique à l'École nationale d'administration publique (ENAP), ne croit pas que ces propos auront un impact très important sur les relations entre le Québec et la France, «tant que le parti libéral sera au pouvoir». Et encore, même si un gouvernement souverainiste devait remporter les prochaines élections, il doute que cette position se transforme au fil des mois. Les Français, dit-il, éprouvent une certaine lassitude face à la question de l'identité québécoise. «Dans les années 70, on a vendu l'idée aux Français que la souveraineté était imminente. Trente ans et deux référendums plus tard, ils ont fini par réaliser que cela ne tenait pas, qu'il valait peut-être mieux établir des relations plus stables avec le Canada et éviter de se mettre Ottawa à dos.»

Nicolas Sarkozy tirera certains avantages à ce rapprochement avec Stephen Harper. «Même si les relations n'ont jamais été problématiques, ce sera beaucoup plus simple pour les visites à Ottawa, c'est certain», dit M. Bernier. Il n'y a toutefois pas de grands enjeux sur la table entre les deux pays, ajoute-t-il. «Ce n'est pas une relation primordiale ni pour Harper ni pour Sarkozy.»

 

La position des cinq derniers présidents de la République

Charles de Gaulle (1958-1969)

De loin le plus favorable au mouvement nationaliste québécois, il prononce en juillet 1967 un discours historique à Montréal, qu'il conclut par la phrase: «Vive le Québec libre!» Puis il insiste pour que le Québec ait un siège à une conférence des ministres de l'Éducation des pays francophones en 1968. Ce faisant, il traitait le Québec en État souverain et froissait de nouveau Ottawa.

Georges Pompidou (1969-1974)

Plus retenu que son prédécesseur, Georges Pompidou évite les déclarations fracassantes mais poursuit dans la lignée tracée par De Gaulle. Il veut assurer l'indépendance de la France vis-à-vis des États-Unis et de l'Angleterre en resserrant ses relations avec les autres nations francophones.

Valéry Giscard d'Estaing (1974-1981)

C'est à son gouvernement que l'on doit la politique de «non-ingérence, non-indifférence». Il appuie la cause souverainiste au référendum de 1980.

François Mitterrand (1981-1995)

Le plus froid de tous les présidents vis-à-vis de la cause souverainiste, il fait néanmoins quelques gestes plutôt favorables à leur endroit. Il recevra notamment Jacques Parizeau alors que ce dernier n'est que le chef de l'opposition, ce qui dérogeait aux règles du protocole.

Jacques Chirac (1995-2007)

Jacques Chirac donne un coup de pouce aux souverainistes en promettant de reconnaître la victoire d'un oui au référendum de 1995. Mais sa position glisse graduellement à partir de 1998, quand il commence à se rapprocher de Jean Chrétien. Le virage qu'il a amorcé sera achevé par Nicolas Sarkozy.

Sources: Jean-Herman Guay, Luc Bernier, Stéphane Paquin et Frédérick Mérand.