Discours anti-séparatistes au Canada anglais, leaders politiques et commentateurs qui attisent la flamme, grogne contre le Québec... La crise politique à Ottawa a des relents de l'échec de l'accord du lac Meech qui avait fait exploser les appuis à la souveraineté à près de 64% en 1991.

Les ingrédients sont-ils réunis pour raviver la ferveur souverainiste qui stagne sous les 40% depuis des années? Les ténors du mouvement comme Jacques Parizeau ou Pauline Marois le souhaitent, mais les experts en doutent.

«J'ai l'impression que ça n'aura pas le même effet que l'échec de Meech, à cause de l'alliance Duceppe-Dion : pour bien des gens, c'est étrange, dit Jean-Herman Guay, politologue. Ce n'est pas comme Meech: on était là de bonne foi, c'était unanime, on a été rejetés. Cette fois, on l'a un peu cherché, on est un peu participants de la crise même si c'est M. Harper qui l'a déclenchée.»

Le chef de l'Action démocratique du Québec, Mario Dumont, croit lui aussi que les souverainistes risquent d'être trop désorientés par ce feuilleton politique pour se mobiliser. «Pour les gens qui sont nationalistes, qui ont déjà eu la souveraineté comme option ou qui l'avaient jusqu'à tout récemment, la surprise de la semaine était de voir Pauline Marois et Gilles Duceppe main dans la main avec Stéphane Dion, a-t-il déclaré hier. C'est la chose la plus imprévisible pour un Québécois nationaliste.»

L'appui à l'indépendance du Québec se nourrit en partie du sentiment d'être rejeté par le reste du Canada, analyse Jean-Herman Guay. Quand les affronts sont manifestes, comme en 1990, lors de l'adoption de la Loi sur la clarté en 2000 ou lors du scandale des commandites, une part importante des Québécois - jusqu'à 30% - se rabat sur la souveraineté. Ils s'ajoutent alors aux autres 30% qui sont clairement guidés par la volonté de faire un pays.

Ce phénomène d'appui mouvant, le politologue l'a baptisé «l'accordéon souverainiste». Rien n'indique pour le moment que l'accordéon en question soit en train de s'étirer, alors que la souveraineté est en dormance, selon M. Guay. «En 1989, ç'avait pris du temps, il y a eu un build up. Je n'exclurai pas que ça se produise cette fois-ci, mais on manque d'information.»

Élections baromètres

Les élections de lundi, et la performance du Parti québécois, pourraient donner les premières indications sur ce réveil souverainiste. Même là, il est peut-être trop tôt pour percevoir une tendance claire, estime François-Pierre Gingras, politologue à l'Université d'Ottawa. «À très court terme, je ne crois pas que ça amène beaucoup de votes au PQ. Ça n'a pas encore cristallisé, et Charest ne fait pas si peur que ça.»

La chef du PQ, Pauline Marois, y est d'ailleurs allée d'un appel du pied hier pour attirer les souverainistes dans les bureaux de scrutin lundi. «J'espère que ça va mettre en lumière qu'il y a vraiment deux nations dans ce pays et que les intérêts des uns et des autres s'opposent, parfois. Et dans le cas présent, ils se sont opposés très clairement. Alors, j'espère que ça va amener les souverainistes, qui n'étaient pas nécessairement prêts à aller voter, de prendre la décision d'y aller lundi.»

M. Gingras croit que la crise à Ottawa pourrait effectivement raffermir les convictions des souverainistes « fragiles », ceux qui hésitaient à appuyer Gilles Duceppe et qui pourraient être hérissés par le Quebec bashing.

Les grands perdants de cette crise, croit le politologue, sont les conservateurs... et la démocratie. «Les conservateurs viennent de brûler le capital politique qu'ils avaient acquis au Québec de peine et de misère. M. Harper avait délibérément courtisé le Québec pour une vision à long terme. Il vient de perdre ça dans une perspective à court terme, stratégique et partisane.»

L'inflation verbale au sujet des députés «séparatistes» du Québec n'aide en rien la démocratie, estime M. Gingras. «Au Québec, les indépendantistes sont une option légitime. Depuis une semaine au Canada anglais, ils sont redevenus une menace.»

- Avec la collaboration de Martin Croteau et Vincent Brousseau-Pouliot