Même si Stéphane Dion «est l'homme de la négation de la nation québécoise, l'homme de la loi sur la clarté et qu'il a flirté avec la partition (du Québec)», il faut s'élever au-dessus des personnes et le Bloc québécois a fait une bonne analyse de la situation, croit Bernard Landry, ex-premier ministre du Québec.

«Il y avait beaucoup de plus et de moins, mais le Bloc les a analysés correctement, dans l'intérêt du Québec, d'autant qu'il ne s'est pas engagé pour l'éternité. J'espère que l'opération va réussir», dit Bernard Landry, qui a parlé à quelques reprises à Gilles Duceppe ces derniers jours.

 

Chose certaine, poursuit M. Landry, la situation actuelle permettra aux Québécois «de se rendre compte de l'absurdité du système monarchique. En tout respect pour la personne en place, il est quand même incroyable qu'on en soit à se tourner vers une personne non élue qui représente la reine d'Angleterre».

En ayant «la main sur le gouvernail, pour reprendre une expression à la mode», le Bloc défendra mieux que jamais les intérêts du Québec à Ottawa, estime aussi l'analyste politique Jean-François Lisée.

«Le Bloc québécois a mené toute sa campagne en insistant sur l'importance d'envoyer des députés qui allaient résister à l'idéologie de Stephen Harper. Quand cette idéologie s'est manifestée de façon extraordinairement arrogante dans son énoncé économique, il était tout à fait logique que le Bloc fasse ce pour quoi il a été élu, c'est-à-dire empêcher Stephen Harper d'appliquer ce genre de politique.»

Que Gilles Duceppe en vienne à faire équipe avec Stéphane Dion, «évidemment, ça surprend un peu, mais le Bloc n'a pas été consulté dans la désignation du chef du Parti libéral du Canada», enchaîne M. Lisée.

L'essentiel, à son avis, c'est que le Bloc ait réussi, dans l'entente tripartite, à faire inclure plusieurs des revendications québécoises visant à stimuler l'économie.

Peut-être la situation politique actuelle ne s'y prêtait-elle pas, mais M. Lisée regrette seulement que le Bloc, qui a récolté le plus de sièges au Québec, ne puisse pas avoir de ministres dans le gouvernement de coalition annoncé. «C'est un peu dommage, j'aurais bien vu Pierre Paquette devenir le ministre responsable des dossiers économiques pour le Québec.»

Yves Michaud, ex-député et souverainiste depuis toujours, ne sourcille pas non plus devant la situation actuelle. «C'est très bien. Pour une fois que la politique fédérale est drôle...»

«On n'a pas à s'énerver, dit-il. Les gouvernements de coalition, c'est monnaie courante en Europe. Pour une fois, le Bloc aura une influence directe sur la conduite des affaires de l'État fédéral. Pourvu que ça doure, comme disait la mère de Napoléon!»

À l'instar de Jean-François Lisée, Yves Michaud croit que le Bloc ne fait que ce qu'il a toujours fait: défendre les intérêts du Québec.

Marc Laviolette et Pierre Dubuc, du collectif Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, écrivent pour leur part que la crise politique à Ottawa constitue «une chance inespérée pour les souverainistes». «Hier, Harper voulait marginaliser le Québec; aujourd'hui, le Québec se retrouve avec la balance du pouvoir! Quel revirement!»

Mieux encore, aux yeux des auteurs, «il n'est pas exclu que nous assistions éventuellement à un ressac anti-Québec dans le reste du Canada. Dans ces circonstances, la crise pourrait facilement mener à une montée de l'effervescence nationaliste du Québec comme au lendemain de l'échec de l'entente du Lac Meech.»

Éric Tremblay, chef du Parti indépendantiste, ne l'entend pas du tout ainsi. «C'est ahurissant. Gilles Duceppe va permettre à Stéphane Dion, père de la loi sur la clarté référendaire, de devenir premier ministre du Canada. (...) Ce n'est pas en faisant fonctionner le système canadien que nous réussirons à en sortir».

Avec la collaboration de Jean-Christophe Laurence