L'effet du rapport du vérificateur général sur le contrat des compteurs d'eau s'est fait pleinement sentir hier. La tourmente a emporté les deux plus importants fonctionnaires de la Ville et le maire, qui s'est fait durement prendre à partie par l'opposition, a annoncé son intention d'annuler le contrat. Malgré tout, les Montréalais n'échapperont pas à une facture de plusieurs millions.

Les nombreuses irrégularités relevées par le vérificateur général de la Ville de Montréal ont coûté leur poste aux deux plus importants fonctionnaires de l'administration du maire Gérald Tremblay: Claude Léger, directeur général de la Ville, et Robert Cassius de Linval, directeur des «affaires corporatives».

M. Tremblay a par ailleurs annoncé son intention d'annuler le contrat de 356 millions de dollars accordé au consortium GÉNIeau, formé par la compagnie Simard-Beaudry, dirigée par l'homme d'affaires Tony Accurso, et la firme d'ingénieurs Dessau.

Il y a cinq mois, devant une forte contestation, le maire avait organisé une séance extraordinaire du conseil municipal pour vanter les mérites de ce contrat. «Aujourd'hui, on a eu l'occasion de démontrer hors de tout doute que c'est un bon projet pour Montréal, que c'est un coût qui est très compétitif à comparer avec Toronto et Ottawa, et finalement, que c'est un processus transparent, qui respecte les règles de l'art», avait-il déclaré à l'issue de la rencontre.

Hier, deux heures après que le vérificateur eut présenté son rapport aux journalistes, M. Tremblay a tenu un tout autre discours.

«Le vérificateur général conclut que le contrat a été octroyé dans un contexte qui ne favorisait pas l'obtention du meilleur prix, a dit le maire, l'air abattu. À l'évidence, il y a eu des accrocs à des étapes cruciales du processus, qui m'apparaissent inacceptables... En conséquence, j'ai demandé à l'administration de voir à enclencher un processus ordonné d'annulation du contrat.

«J'ai rencontré le directeur général de la Ville, Claude Léger, ainsi que le directeur principal, Service des affaires corporatives, Robert Cassius de Linval. Tout comme moi, ils conviennent que la situation décrite par le vérificateur général est indéfendable. À la suite de ces rencontres, nous avons convenu que MM. Léger et Cassius de Linval quitteront leur poste. L'intérim de la Ville sera confié à la directrice générale adjointe, Rachel Laperrière.»

Le maire a demandé à Mme Laperrière de préparer un plan pour resserrer les mécanismes d'attribution des contrats, pour revoir le rôle du secteur privé dans la préparation des plans, devis et contrats et pour renforcer la circulation de l'information auprès des élus. À plusieurs reprises, M. Tremblay a dit qu'il n'avait pas été informé des nombreuses lacunes relevées par le vérificateur général.

Cris d'alarme

Ce dernier note dans son rapport que plusieurs cris d'alarme avaient été lancés, tant par des fonctionnaires que par les experts comptables de la firme Pricewaterhouse. Les uns et les autres avaient noté que la partie la plus substantielle du contrat, celle des chambres de vannes, n'était pas justifiée. Ils avaient aussi souligné que des clauses importantes du contrat avaient été modifiées en cours de route, notamment pour faire en sorte que le fardeau du financement passe de GÉNIeau à la Ville. Mais le maire a répété qu'il n'avait pas été mis au courant. Il a ajouté qu'il ne voulait pas faire de ce contrat un enjeu politique.

«Il y a des limites à être crédule, a réagi Louise Harel, candidate à la mairie aux élections du 1er novembre. Il est incompréhensible que le maire n'ait pas cherché à savoir. Si on ne lui a pas dit, pourquoi ne s'est-il pas informé? Pourquoi n'a-t-il pas posé de question? Il y a là une abdication, une renonciation à ses responsabilités légales.

«Ce n'est pas une défense que de dire «Je ne savais pas» quand on est maire de la plus grande ville du Québec. Ceux qui n'ont pas informé (les élus) sont sanctionnés aujourd'hui, a approuvé Mme Harel. Le 1er novembre, la population aura l'occasion de sanctionner ceux qui ne se sont pas informés, en l'occurrence le maire lui-même.»

Son bras droit, Benoit Labonté, a exigé que M. Tremblay convoque un nouveau conseil municipal extraordinaire, dès lundi, afin de faire annuler le contrat. «Le maire n'a pas le pouvoir d'annuler le contrat, a-t-il dit. Seul le conseil municipal, puis le conseil d'agglomération, ont ce pouvoir.»

En raison des élections du 1er novembre, le conseil municipal doit se réunir au plus tard le 30 septembre. «Chaque jour qui passe coûte des milliers de dollars en pénalités», a dit M. Labonté.

Le vérificateur général, Jacques Bergeron, a révélé qu'il avait rencontré trois élus au cours de son enquête: le maire, Frank Zampino, ancien président du comité exécutif, et Sammy Forcillo, vice-président du comité exécutif et responsable des infrastructures. M. Zampino, qui a voyagé à bord du yacht de Tony Accurso pendant la période d'attribution du contrat, a fait savoir par son porte-parole qu'il ne ferait aucun commentaire. À l'instar du maire, M. Forcillo a dit qu'il n'avait pas eu connaissance des cris d'alarme lancés pendant l'attribution du contrat.

Le ministère des Affaires municipales avait donné son aval au contrat. Hier, le ministre Laurent Lessard a dit qu'une révision s'imposait pour mettre en place des processus d'appel d'offres plus transparents à la Ville de Montréal.