Je me trouve au festival Juste pour rire devant l'écran des «Gags Tim Horton's», dehors, avenue du Président-Kennedy, par une fin d'après-midi caniculaire. Mon neveu de 7 ans m'accompagne. Sur l'écran géant au bout de la place, des vieux, des femmes enceintes, des nonnes catholiques, des aveugles, des policiers, des handicapés, des gais servent à piéger les passants. Ces «gags» sont vendus partout dans le monde.

Une plantureuse brigadière demande à un passant de la remplacer, une minute seulement, juste le temps pour elle d'aller à la toilette. L'homme accepte et se voit confier une pancarte octogonale. D'un côté, on peut y lire «stop», tout simplement, mais de l'autre «I am gay». L'homme qui tient la pancarte devant ses yeux n'aperçoit que le «stop». Une voiture arrive: une décapotable conduite par un moustachu extrêmement efféminé (qui envoie des baisers en direction du remplaçant brigadier). Le faux brigadier trouve la situation cocasse. L'assistance aussi, mais sans plus. C'est seulement quand le quidam voit ce qui est écrit au verso de la pancarte que l'assistance éclate de rire.

Mon neveu, lui, ne rit pas. Il me demande même ce qu'il y a de drôle. Eh bien, franchement, bonne question. Il n'y a rien de drôle, que je réponds en lui ébouriffant les cheveux. Pourquoi tout le monde rit alors? Malin, le petit neveu! Euh... que je commence, vois-tu, les gens rient quand le faux brigadier réalise qu'il vient de se faire prendre pour un gai, mais qu'en fait, il ne l'est pas, ou peut-être pas, ou, en tout cas, ce n'est pas vraiment important, qu'il soit gai ou pas... Et elle est où, la blague? Euh, nulle part, que je réponds. Pourquoi les gens rient alors? Retour à la case départ.

Je me détourne de l'écran, songeur. Qu'y a-t-il de drôle, en effet, dans cette capsule? Si l'on remplace l'homme gai qui est au volant de la décapotable par une femme hétérosexuelle et le «I am gay» par «Je suis hétéro», que reste-t-il du «gag» ? Rien. On peut donc dire que le «gag», dans sa forme actuelle, ne peut fonctionner que s'il met en scène un gai. Qu'y a-t-il donc de drôle dans le fait de se faire prendre pour un gai? Rien. Et pourtant, tout le monde sur la place (sauf mon neveu) rit de bon coeur. Je ne suis pas homophobe. Non, pas moi. C'est la faute de la capsule! Elle est construite de manière à rendre le fait d'être gai humiliant et risible, elle utilise l'homophobie comme moteur... Oui, sans doute. Mais il n'y a pas que ça.

Imaginons, avenue du Président-Kennedy, une assistance sans une miette d'homophobie. En voyant le faux brigadier se faire prendre pour un homosexuel, l'assistance serait comme mon petit neveu, incapable d'en rire. Pour les gens de cette assistance idéale, il n'y aurait absolument rien de risible à être gai (et, par extension, à se faire prendre pour un gai). Malheureusement, on n'en est pas là. Et ce n'est pas en cultivant la discrimination par ce genre de «spectacle» (gratuit et familial, soit dit en passant) que l'on réussira à améliorer la situation. Au contraire, c'est autour de ce type de «gags» que l'homophobie se construit. On la construit, oui. L'homophobie n'est pas innée. La preuve: mon neveu de 7 ans n'a pas encore appris que c'est donc risible d'être gai...