Le doute n'est plus permis: la logique de l'intervention militaire engagée contre le régime libyen mènera nécessairement à chasser violemment le colonel Kadhafi du pouvoir. Comme Saddam Hussein et Slobodan Milosevic, il n'a pas su s'arrêter à temps. Il est maintenant condamné à plus ou moins brève échéance.

En attaquant les derniers retranchements des rebelles, le dictateur libyen a cru jusqu'au dernier moment qu'il pouvait encore changer la donne militaire sur le terrain et éviter le feu de l'armada occidentale. Il aurait dû se souvenir de ses deux collègues en dictature. Lors de la première guerre du Golfe, quelques minutes avant que le ciel ne lui tombe sur la tête en janvier 1991, Saddam Hussein regardait sa montre et jurait que les Occidentaux n'attaqueraient pas. Il en réchappa, mais, 12 ans plus tard, terré dans son bunker, le tyran irakien était renversé en trois semaines, capturé et pendu. En mars 1999, le président serbe, Slobodan Milosevic, était, lui aussi, convaincu que le Kosovo ne valait pas une guerre et que l'OTAN bluffait. Le déluge de feu a scellé leur destin. En 2001, il se retrouvait dans le box des accusés d'un tribunal international.

La compression du temps est ici foudroyante. Lorsqu'ils sont à bout, les Occidentaux ne badinent pas et sont de plus en plus efficaces. Afin d'atteindre des résultats, les décennies se transforment en années et, peut-être, dans le cas de la Libye, les années en semaines. On verra.

En attendant, les Occidentaux peinent encore à avouer l'objectif réel de leur intervention. Samedi, à la télévision française, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé a hésité un moment lorsqu'on lui a demandé si la coalition avait reçu le mandat de changer le régime en Libye et de renverser le colonel. «Il n'est pas inscrit dans la résolution du Conseil de sécurité qu'il (Kadhafi) doive s'en aller, a souligné le ministre, mais il est bien évident - ne nous racontons pas d'histoires - que le but de tout cela est de permettre au peuple libyen de choisir son régime... et je n'ai pas le sentiment qu'aujourd'hui le choix se porterait sur le colonel Kadhafi.» Et de poursuivre: «Certains pays réclament son départ!» oubliant de mentionner que c'est la France, en premier, qui l'a réclamé.

La coalition n'a pas le mandat de renverser Kadhafi. Si cela s'était retrouvé dans le libellé de la résolution votée jeudi dernier au Conseil de sécurité, celle-ci n'aurait pas passé. Pour autant, personne n'est dupe. En autorisant «tous les moyens nécessaires» afin de protéger les civils et obtenir un cessez-le-feu, la résolution se prête à une interprétation très large. Et la coalition ne se gênera pas pour en tirer toutes les potentialités. En neutralisant les avions de combat et les chars libyens, elle ne peut faire l'économie de frapper le commandement central et son chef. Les salves de centaines de missiles sur les installations militaires et stratégiques libyennes sont là pour le rappeler.

En ouvrant les hostilités, la coalition est entrée dans une logique de guerre où la défaite est inacceptable. Elle devra donc se rendre jusqu'au bout, c'est-à-dire accompagner les rebelles à Tripoli pour leur permettre de prendre le pouvoir. À moins d'un revirement spectaculaire de Kadhafi, le conflit sera sanglant et réservera sans doute quelques surprises. Par exemple, même si la résolution de l'ONU l'interdit expressément, la coalition pourrait bien être forcée d'envoyer des troupes au sol pour finir le travail. Afin d'obtenir le soutien de la population et des élus américains, Bill Clinton avait promis de ne pas déployer de troupes au sol au Kosovo, pourtant, quelques jours avant la reddition de Milosevic, un plan en ce sens circulait à l'OTAN.

L'objectif final de cette intervention est donc écrit d'avance. Son résultat - le libre choix par les Libyens de leurs dirigeants au moment d'une élection démocratique - n'est pas acquis. Trop de mystères planent sur l'identité des rebelles et leurs intentions réelles. Mais, n'en doutons pas, la Libye sera libérée de son dictateur actuel.