Si trop d'enveloppes brunes circulent parmi les politiciens du Québec, c'est largement pour financer les coûts associés aux élections. Les politiciens et les partis ont besoin d'argent pour être compétitifs sur le plan électoral. C'est ce besoin qui permet aux grandes entreprises de construction et de génie-conseil d'utiliser leur argent pour influencer les politiciens et les décisions du gouvernement.

Le pouvoir indu de l'argent sur la politique soulève, au premier chef, des questions reliées à la corruption. C'est de cette façon que cet enjeu est présentement traité dans les médias et l'opinion publique.

Mais cela soulève aussi, plus fondamentalement, des questions d'inégalité dans la représentation démocratique, parce que les décisions du gouvernement reflètent plus les intérêts des lobbyistes et des pousseurs d'enveloppes brunes que ceux des citoyens en général. Le pouvoir de l'argent sur la politique rend le processus de représentation plus inégal. Les enveloppes brunes, ce n'est pas tout le monde qui peut se les permettre: ce sont surtout les grandes entreprises et organisations qui en ont les moyens.

Sous la corruption, se cache aussi une question d'inégalité. Il faut libérer les partis du pouvoir de l'argent. Pour s'attaquer à cet enjeu, il faut agir directement sur les partis politiques. Il faut éliminer leur dépendance à l'endroit des grands intérêts économiques, car c'est ceci qui rend le processus de représentation inégal. Ce n'est pas une commission d'enquête sur construction qui va régler le problème.

Les partis politiques sont devenus plus dépendants des intérêts corporatifs au fur et à mesure que les citoyens se sont désengagés du processus démocratique. La désertion du public, l'érosion du membership et du militantisme ont rendu les partis politiques plus vulnérables au pouvoir de l'argent. Les citoyens ayant quitté le «navire» de la politique partisane, les corporations et les lobbyistes ont ramassé ce qui restait. La démobilisation citoyenne a réduit notre pouvoir d'agir sur la politique et renforcé le déséquilibre dans la représentation, donnant encore plus d'influence à ceux qui ont le plus de ressources.

Ce n'est pas seulement à coup de lois et de bureaucratie que l'on redressera les inégalités de la représentation politique. Il faut aussi un réengagement citoyen dans les institutions et les processus politiques. Les partis porteurs de visions et de projets de société attirent moins le pouvoir de l'argent.

Aux États-Unis, l'ancien chef de cabinet du président Obama, Rahm Emanuel, aurait dit qu'en politique, les crises sont des opportunités que l'on ne doit jamais laisser se gaspiller. C'est exactement ce que nos élus devraient faire. La crise actuelle nous donne l'opportunité de renouer avec notre histoire de réformisme démocratique. Ce qui se passe en ce moment est une occasion pour les citoyens de faire des gains démocratiques. C'est une chance de renforcer l'égalité dans la représentation en faisant en sorte qu'à l'avenir, nos partis politiques ne soient plus les otages des lobbyistes et des entreprises.

Ce projet est certainement plus mobilisateur que de braquer toutes nos énergies sur les scandales de corruption. Ceux-ci ne sont que des écrans de fumée qui nous empêchent de voir les enjeux plus fondamentaux.