L'opinion de Gaétan Frigon sur le financement des partis politiques (La Presse du 27 août) m'a rappelé une petite phrase de la chanson L'encan de Félix Leclerc. «Tiens... un américain. C'est légal y'est dans son droit.» Remplaçons donc «américain» par «entrepreneur» et nous avons le contexte sur lequel nombre de projecteurs se braquent depuis quelque temps.        

Comme celui de Félix, l'argument de Gaétan Frigon est, à première vue, imparable. En effet, pourquoi prêter des intentions malveillantes aux gens de conviction qui souhaitent le manifester en soutenant activement, abondamment et surtout, tout à fait légalement, la démocratie? Cela serait mesquin.

Ce qui me préoccupe dans tout ce débat, c'est le ver dans le fruit, le péché originel de cette loi dite du «financement populaire» pratiquement sacralisée en même temps que son initiateur, feu René Lévesque. Adoptée en 1977 alors que le salaire minimum était de trois dollars l'heure, soit 6240$ par année pour 52 semaines de 40 heures, la loi autorisait un don personnel maximum de 3000$.

Il est utile de rappeler que seuls les premiers 400$ donnaient, et donnent toujours droit à un crédit d'impôt de 75%. Une contribution de 400$ «coûte» donc 100$ mais un montant de trois mille dollars en «coûte» 2700$. Qui donc, à cette époque, pouvait se permettre de démontrer de si belle façon ses convictions démocratiques en versant 50% d'un an de paye brute au salaire minimum?

J'ai illustré mon propos en utilisant le salaire minimum d'alors et d'aucuns pourraient me dire que j'exagère à la baisse, que je caricature. Soit. Prenons alors les salaires horaires d'ouvriers spécialisés qui se situaient entre deux et quatre fois le salaire minimum. Cela ne fait quand même que 12 000 à 25 000$ bruts par an. Je repose la question: qui donc pouvait se permettre une telle générosité et pourquoi?

Pour plus de clarté encore, et en appliquant simplement le calculateur d'inflation de la Banque du Canada, on constate que ces 3000$ de 1977 équivalent à plus de 10 000$ d'aujourd'hui (10 336,28$). La démonstration en devient encore plus éloquente. Et si on compare les 17 millions recueillis par les partis politiques en 2008 aux quelque 50 millions recueillis par Centraide du grand Montréal la même année, peut-on trouver, sans cynisme aucun, que c'est là beaucoup d'amour pour la démocratie?

M. Frigon, homme d'affaires expérimenté, très disert, et qui s'y connaît en chiffres, évite commodément de parler de ce volet de la chose, comme le font d'ailleurs tous ceux qui ont sacralisé cette loi du financement dit «populaire». Décidément, il y a bien des «gens du peuple» qui aimeraient avoir les moyens de contribuer de si belle façon à la démocratie citoyenne et, bien sûr, en toute légalité.

Mais l'être humain étant ce qu'il est, je persiste à penser les partis politiques n'ont fait que s'engouffrer dans l'ouverture béante que leur offrait la loi dès son adoption. Il semble bien que la lettre ait, dans certains cas, primé sur l'esprit qui a présidé à son adoption à l'unanimité en 1977. Des changements s'imposent donc si on veut, comme M. Frigon, éviter le cynisme et les condamnations sans nuance de gens dont, de toute évidence, le seul souci est la démocratie.