Le 25 août dernier, la Commission des valeurs mobilières américaine (la SEC) adoptait une mesure plutôt radicale dans l'univers conservateur de la gouvernance des sociétés cotées en bourse aux États-Unis: à trois voix contre deux, la commission formulait de nouvelles règles pour la nomination des administrateurs.        

Un actionnaire pourra désormais soumettre des noms de candidats au poste d'administrateur à la condition d'être un actionnaire «significatif et de longue durée» c'est-à-dire s'il détient 3 % ou plus des actions votantes en circulation et ce, de façon continue, depuis trois ans.

Il s'agit d'une brèche importante dans l'idéologie dominante et pernicieuse «d'une action-un vote», d'égalité de traitement de tous les actionnaires, les actionnaires touristes et les actionnaires spéculateurs tous égaux en droit par rapport aux actionnaires de longue durée, fidèles et loyaux à l'entreprise. Il est probable que cette décision de la SEC sera contestée devant les tribunaux.

Au Canada, la loi tant fédérale que québécoise donne aux actionnaires représentant au moins 5% des actions le droit de proposer des candidats au conseil d'administration de la société cotée en bourse. Ces propositions de candidatures ne seront pas toutefois présentées au même titre que les candidats proposés par la direction. Puis, au Canada, ce droit n'est assujetti à aucune condition quant à la durée de détention des actions. En fait, les lois canadienne et québécoise contiennent une clause dite d'égalité de traitement (article 24-3) qui rendrait possiblement illégale une disposition comme celle que vient d'adopter la SEC.

La démarche actuelle de mise en nomination de candidats au conseil d'administration est entièrement sous le contrôle de la direction et du conseil en place. Les démarches d'actionnaires pour faire élire d'autres membres au conseil que ceux proposés par la direction sont complexes, coûteuses et, la plupart du temps, futiles tellement les dés sont pipés en faveur de la direction de l'entreprise.

Les nouvelles règles adoptées par la SEC ne donneront pas lieu à une série de putschs au conseil des grandes sociétés américaines. Les actionnaires significatifs et de longue durée ne pourront proposer des candidats que pour 25 % des postes au conseil.

L'Institut sur la gouvernance (IGOPP) propose depuis 2006 que l'on modifie le cadre juridique canadien et québécois pour permettre une reconnaissance de droits accrus aux actionnaires de durée. Ainsi, il nous semble approprié que les actions ne comportent un droit de vote qu'une année après leur achat. Dans un monde dominé par les tractations de fonds de spéculation, alors que la période moyenne des actions des sociétés fait moins de six mois, la société canadienne et québécoise ne peut confier bêtement sa destinée économique aux vents et humeurs de la spéculation et de la «mondialisation».

Ces nouvelles normes pourraient avoir un impact important dans la tentative de prise de contrôle de la société Potash. Depuis l'annonce des intentions de BHP Billiton, plus de 50% des actions de Potash ont changé de mains. Selon le principe qu'il faut attendre une année avant de pouvoir exercer le droit de vote, tous ces « nouveaux » actionnaires ne pourraient voter pour ou contre l'acceptation d'une éventuelle offre d'achat. Le principe proposé ferait en sorte que le sort de la société Potash soit dans les mains d'actionnaires d'une certaine durée et ne subisse pas l'influence de mercenaires fraîchement débarqués.

L'entreprise doit compter sur des actionnaires stables et patients qui comprennent et appuient sa stratégie et savent que son exécution se déploie sur plusieurs années. Ce type d'actionnaires ne peut être traité de façon égale aux actionnaires de court terme cherchant un profit rapide.

Sentant le vent de changement qui souffle sur le système financier américain depuis la crise, la SEC vient d'ouvrir une porte jusqu'à maintenant verrouillée à double tour.

Il est important que les législateurs canadiens ainsi que nos commissions des valeurs mobilières prennent bonne note de cette nouvelle donne: les actionnaires ne sont pas tous égaux ; on peut reconnaître légitimement des droits additionnels aux actionnaires de durée !