Vladimir Poutine estime avoir réussi un grand coup de théâtre géopolitique dans les relations de la Russie avec l'Ukraine.

Le 21 avril, un accord inattendu de renouvellement pour 25 ans de la cession par l'Ukraine de l'importante base militaire navale de Sébastopol pour la flotte russe de la mer Noire était annoncé. L'ancien président Youshtchenko, défait aux élections de février, y voyait, non sans raison, le principal levier de l'influence russe en Ukraine et avait affirmé que le bail qui devait se terminer en 2017 ne serait en aucun cas renouvelé. Sa durée s'étendra maintenant jusqu'en 2042...

Le prix payé par Moscou pour cela apparaît colossal. Kiev se voit accorder un escompte de 30% sur le prix qu'elle doit payer pour le gaz russe. Le manque à gagner pour la Russie s'établit à 41 milliards sur 10 ans. Aucune base militaire étrangère, où que ce soit ailleurs dans le monde, n'a jamais payé un tel loyer. M. Poutine lui-même a parlé d'un montant «exorbitant».

Plus discrètement, on fait remarquer ici que l'Ukraine, dans la situation dramatique où se trouve son économie, n'aurait jamais pu payer cette somme et que la dette accumulée aurait dû de toute façon être effacée, comme ce fut le cas souvent dans le passé. L'accord a immédiatement permis au gouvernement ukrainien de réduire le déficit prévu à son budget de 2010 d'un montant suffisamment important pour satisfaire les exigences du FMI pour le versement de la dernière tranche d'une aide de 16,4 milliards qui avait été suspendue. L'avantage est considérable. Mais comme prévu l'accord a créé une commotion dans les milieux politiques nationalistes ukrainiens rejoints ici par Youlia Tymoshenko, candidate défaite par Yanoukovitch au second tour des élections présidentielles. Malgré cela, il a été ratifié à la suite d'une séance rocambolesque du Parlement ukrainien, dès le 27 avril.

Contrairement à ce qui se serait passé à l'époque de George Bush, Washington n'a donné aucun signe, si mince soit-il, d'encouragement aux opposants. Au contraire, Hillary Clinton a déclaré que l'accord lui «était compréhensible». Moscou voit là avec plaisir un signe probant que Washington «commence enfin» à «respecter» les intérêts de la Russie dans l'ancien espace soviétique.

Les événements du Kirghizistan du début d'avril vont dans le même sens et montrent une amélioration sensible des relations entre Moscou et Washington. Après le renversement du régime en place le 7 avril, la nouvelle dirigeante, Roza Otunbayea, qui comptait sur le soutien de Moscou pour la consolidation de son gouvernement provisoire et qui l'a pleinement obtenu, refusait de répondre à toute question sur l'avenir de la base militaire américaine au Kirghizistan. Le lendemain, les présidents Obama et Medvedev, qui se trouvaient ensemble à Prague pour la signature de leur traité sur la réduction des armes nucléaires stratégiques, se seraient donné des assurances réciproques.

Peu après leur rencontre, Mme Otunbayeva affirmait que le bail de la base américaine presque indispensable pour la poursuite de la guerre d'Afghanistan (où Moscou ne souhaite surtout pas une victoire des talibans) serait prolongé d'un an. Le jeu reste ouvert après ce délai. En retour, Washington évite de se mêler des difficultés de la formation du gouvernement kirghize. Un diplomate américain en poste à Bishkek déclarait à des journalistes que cette fois, «la Russie avait eu une "révolution de couleur" à sa couleur» ...

L'amélioration des relations Washington-Moscou va continuer. Mais les « durs » ici estiment que si les intérêts russes sont maintenant mieux «respectés», ce n'est pas seulement en raison d'une nouvelle approche de M. Obama. Ils considèrent que c'est tout autant le résultat de la bataille acharnée qu'ils ont menée (et gagnée) contre l'élargissement de l'OTAN en Ukraine et en Géorgie, et du fait que Washington a maintenant plus besoin de la Russie que l'inverse, en raison du dossier nucléaire iranien et pour se dégager d'Afghanistan.

Ils voient la future bonification des relations entre les deux pays, comme une partie très serrée, mais tout de même pas comme une partie d'échecs dont la Russie n'a pas les moyens.