Il convient d'abord de comprendre et d'accepter que la Révolution tranquille soit une question plus qu'une réponse, un problème plus qu'une solution, une énigme plus qu'une libération radicale. Cette attitude mentale va d'autant moins de soi qu'elle est censée avoir réglé des choses, sinon les choses.

Il convient d'abord de comprendre et d'accepter que la Révolution tranquille soit une question plus qu'une réponse, un problème plus qu'une solution, une énigme plus qu'une libération radicale. Cette attitude mentale va d'autant moins de soi qu'elle est censée avoir réglé des choses, sinon les choses.

La tâche est de savoir comment et pourquoi la Révolution tranquille est une énigme. Le défi est de reconnaître la déstabilisation qui vient avec ce processus de reconnaissance d'un noeud. Quelles « assurances » la Révolution tranquille portait-elle ? Que des changements révolutionnaires ou tranquilles s'étaient opérés. Chacun peut faire son choix : le Parti « libéral » était élu, l'étatisation-nationalisation de l'électricité était complétée à l'arraché, un ministère de l'Éducation et un ministère de la Santé et des Affaires sociales étaient établis, une Société générale de financement et une Caisse de dépôt et placement étaient créées. Comprenons maintenant qu'il s'agissait de changements tranquilles : l'Ontario avait étatisé les pouvoirs hydrauliques en 1905, l'État interventionniste dans l'éducation, la santé et les affaires sociales existait dans d'autres provinces canadiennes et en Occident, la France avait sa Caisse de dépôts et de consignation.

Il ne faut pas avoir peur du mot : le Québec s'est normalisé, s'est mis à la norme occidentale, s'est mis à jour. Qui donc sera rassuré par ces données économiques et administratives ? Les hommes d'affaires, les banquiers, les gestionnaires, pour qui la Révolution tranquille, ce fut cela ?

Mais tout n'est pas dit pour autant. Alignons, à propos de la Révolution tranquille, les questions sans réponse : pourquoi, en amont de la Révolution tranquille, cette fixation sur UNE date d'élection à l'occasion de laquelle se seraient jouées des cartes singulièrement peu nommées, systématisées ? Pourquoi, en aval, n'y a-t-il pas consensus minimal sur 1966, 1976, 1995 ? Pourquoi, historiens et citoyens, ne disposons-nous pas d'une histoire de la Révolution tranquille, donc d'une interprétation, un tant soit peu satisfaisante, pourquoi n'a-t-on pas encore une prise valable, un canevas de travail sérieux ? Pourquoi a-t-on accepté pour décrire le type de changement opéré par ou lors de la Révolution tranquille une expression – « Quiet Revolution » – traduite de l'anglais, traduite d'une perception de l'histoire et du passé qui lui était en partie étrangère ? Pourquoi les acteurs, les témoins, les baby-boomers, les critiques de la génération X et ceux qui ont aujourd'hui 20 ans et qui sont nés après 1990, après 1976, pourquoi 50 ans de regard sur la Révolution tranquille paraissent-ils comme autant d'accumulation de brouillard sur un « même » passé, sur un « même » événement ? Pourquoi des lectures successives ajoutent-elles plus d'opacité que de clarté à un flou initial ?

À vrai dire, ce qui est en cause concerne le type de changement qui s'est opéré « alors » et depuis, et le solde identitaire de ces changements dans une société où des générations différentes ont eu des raisons différentes d'évaluer les effets de ce changement sur elles.

Techniquement, un baby-boomer de 1946 avait 14 ans en 1960, 20 ans en 1966. Le nombre et un besoin social et culturel de cette génération ont suscité une interprétation du changement opéré où celui-ci devait être ou paraître radical pour garantir le non-retour du conservatisme pesant, religieux et politique, qui avait précédé et auquel tout le passé allait être identifié. L'ampleur du refus et du rejet était à proportion la garantie qu'on allait régler son cas à l'autoritarisme du traditionnel. Ce faisant, le passé était liquidé et le bébé était jeté avec l'eau du bain.

Notre maître était dorénavant le présent, sinon le futur. La voiture populaire de l'époque avait tous les accessoires, un grand pare-brise panoramique, mais pas de rétroviseur. Ainsi équipé à la moderne, le conducteur pensait savoir où il allait.

Cette première de huit conférences sera prononcée par Yvan Lamonde le mardi 9 février, à 19 h 30 à l'Auditorium de la Grande Bibliothèque dans le cadre de la série La Révolution tranquille, 50 ans d'héritages, présentée jusqu'en décembre 2010 par l'Université du Québec à Montréal et par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.