Plus ou moins régulièrement, des événements de l'actualité incitent l'opinion publique à s'interroger sur la pertinence des programmes et pratiques en vigueur en matière de sélection des immigrants.

Malheureusement, la réflexion dépasse rarement le niveau un peu primaire des origines nationales. Suivant cette «réflexion», l'admission des ressortissants de certains pays serait à favoriser, tandis que celle d'autres contrées serait à éviter, voire à proscrire. Cette approche a heureusement été abandonnée par tous les pays développés où la notion d'égalité des personnes n'est pas un vain mot.

 

Il n'en demeure pas moins que la gestion des modalités encadrant la sélection et l'admission d'étrangers aux fins de la résidence permanente n'est pas simple, particulièrement pour les immigrants de la composante économique. Ce sont les caractéristiques propres des candidats qui constituent la base sur laquelle doit être fondée la décision de les sélectionner aux fins de la résidence permanente, avec tous les droits, privilèges et obligations que cela comporte.

Pour prendre en compte les caractéristiques garantes d'une intégration réussie, une grille de sélection a été conçue pour les candidats de la catégorie des travailleurs. Ces caractéristiques vont de l'âge du candidat à sa scolarité, en passant par sa profession, le fait qu'il détient ou non une offre d'emploi au Québec, son niveau de connaissance du français et de l'anglais, son domaine de formation et son adaptabilité.

Les autorités québécoises ont souvent modifié cette grille, mais elles ont toujours été guidées par la recherche de l'équilibre. Équilibre entre des objectifs numériques imposés par une évolution démographique inquiétante et une situation économique parfois précaire et aussi, peut-être surtout, la prudence qu'impose le fait que la majorité francophone du Québec n'a encore qu'une expérience assez récente comme société d'accueil.

Or, le projet en cours de modification réglementaire touchant la sélection des immigrants de la catégorie des travailleurs risque de rompre cet équilibre et semble trahir un empressement marqué à faire du volume.

En vertu de ce projet, non seulement l'étape de l'examen préliminaire serait-elle abolie, mais, en abolissant le critère adaptabilité de la grille, le nombre de cas avec entrevue formelle de sélection serait réduit au minimum.

L'examen préliminaire a pour fonction de réaliser un premier tri parmi les candidatures et de ne retenir que celles qui présentent un certain potentiel d'employabilité. Avec son abolition, on rendra possible pour un candidat qui ne passe pas le test de l'employabilité de se qualifier directement en sélection, grâce à des critères comme les connaissances linguistiques de son conjoint ou la présence d'enfants.

Quant à l'entrevue de sélection, sa disparition signifie qu'on éliminerait la possibilité d'effectuer un contrôle effectif, au vu des originaux présentés en personne, de la validité et de l'authenticité des documents présentés à l'appui des demandes. Quiconque connaît un tant soit peu «l'industrie» des faux diplômes et autres documents utilisés aux fins de l'immigration ne peut que s'inquiéter d'une telle approche.

Déjà que les modalités en vigueur pour les candidats investisseurs leur permettent d'être admis pratiquement sur la base de leurs seules ressources financières, s'il faut qu'à son tour la sélection des candidats de la catégorie des travailleurs ne soit plus l'objet d'une évaluation minutieuse, à quoi aura servi leur prise en main par le Québec?

Ne serait-il pas souhaitable que l'État québécois attache au moins autant d'importance à la sélection d'un futur résident permanent qu'à l'embauche d'un employé contractuel dont l'emploi ne s'étendra que sur quelques mois?

Gérard Pinsonneault

L'auteur est chercheur associé à la Chaire en relations ethniques de l'Université de Montréal.