Le vieux réflexe nostalgique nationaliste canadien de conserver sous contrôle canadien les actifs de Nortel n'est pas fondé sur de sains principes économiques. C'est la meilleure offre, celle d'Ericsson, qu'il faut accepter pour rembourser les créanciers garantis de Nortel qui, à défaut, pourraient recevoir un paiement moindre.

Pour avoir des marchés de capitaux qui fonctionnent bien, les créanciers doivent pouvoir, en cas de défaut de paiement de leur débiteur, exercer leur garantie et vendre les actifs au plus offrant pour se faire rembourser. Si le gouvernement intervient pour empêcher la vente, on risque de faire augmenter le coût d'emprunt des entreprises, car les prêteurs vont demander un rendement plus élevé pour compenser la perception de risque accru.

 

De plus, les investisseurs en capital de risque, qui espèrent vendre leurs actions à profit à des étrangers, pourraient investir moins ou ailleurs qu'au Canada, par crainte qu'Ottawa n'intervienne au moment de la vente.

La somme de 1,13 milliard d'Ericsson, importée de l'étranger et investie ici, servira à rembourser les prêteurs de Nortel qui recycleront ces fonds dans l'économie canadienne à un moment on ne peut plus opportun. De plus, en supposant que Research In Motion, la concurrente canadienne frustrée d'avoir perdu les enchères pour ces actifs, investisse dans les télécommunications canadiennes la somme de 1,1 milliard qu'elle était prête à débourser pour acheter ces actifs de Nortel, le Canada pourrait bénéficier d'un total de 2,23 milliards d'investissements. La solution protectionniste aurait pour effet de garder un «contrôle» canadien plus grand sur une industrie plus petite, qui grandirait probablement moins vite en conséquence d'une telle décision.

Par contre, la solution de libre marché ferait en sorte de rendre l'industrie des télécommunications plus forte, plus importante et plus dynamique, ce qui ne peut que bénéficier aux Canadiens. Entre les mains d'Ericsson, les brevets et la propriété intellectuelle canadienne ne disparaîtront pas. Au contraire, Ericsson fera fructifier son investissement en moussant la mise au point et la mise en marché partout dans le monde des nouvelles technologies canadiennes sur lesquelles planchent déjà les ingénieurs de Nortel.

Finalement, l'argument du ministre ontarien des Finances selon lequel il faudrait garder la propriété canadienne parce que les contribuables ont aidé à financer la mise au point de la technologie de Nortel consiste à utiliser comme prétexte une mauvaise politique (subventionner des compagnies privées) pour appuyer une seconde mauvaise politique (intervenir pour bloquer des investisseurs étrangers).

Ceux qui veulent une solution protectionniste ont une vision statique et se concentrent sur la seule nationalité de l'acheteur. Ce qui compte, c'est plutôt d'avoir un climat d'investissement et de production attrayant au Canada pour encourager la croissance de compagnies locales (qui pourront ultérieurement connaître une expansion à l'étranger), de même que l'établissement ici de filiales étrangères.

En intervenant pour contrer Ericsson, le gouvernement enverrait aux étrangers le message que le Canada souhaite rester à l'écart des réseaux de production multinationaux. Un tel geste encouragerait des représailles similaires contre nos propres compagnies lorsqu'elles feront des offres d'achat à l'étranger.

L'auteur est président de Draco Capital Inc., une société d'investis-sement privée.