Le traitement qu'ont fait les médias et les amateurs du départ de Saku Koivu, capitaine pendant neuf saisons du Canadien de Montréal, révèle un malaise profond à l'égard de cette organisation qui récupère sans scrupule la fierté identitaire et linguistique du Québec à des fins de marketing.

C'est du moins ce qui ressort de la lecture de divers sites médiatiques et forums d'amateurs. Au final, pour de trop nombreux francophones et anglophones, Saku Koivu aura servi d'instrument pour alimenter l'éternelle controverse linguistique.

 

Les éloges polis dont M. Koivu a fait l'objet dans les médias francophones ne font pas oublier que de nombreux chroniqueurs et amateurs l'avaient pris en grippe depuis longtemps. Il faut voir la vulgarité et la cruauté des commentaires dans les différents sites et forums. «Bon débarras!» «Hypocrite!» «Il était temps!» «Pomme pourrie!» Puis, le plus persistant des reproches: «Après 14 ans à Montréal, il ne parle pas un mot de français!»

Cette dernière accusation est fausse. M. Koivu utilisait le français en privé, mais ne s'est jamais senti suffisamment confiant pour le faire devant les médias. Mais pourquoi laisser les faits gâcher une si bonne histoire?

Du côté anglophone, les commentaires ne sont guère plus objectifs. Chroniqueurs et amateurs divinisent l'ex-capitaine. Dave Stubbs (The Gazette) affirme même sans rire qu'il a incarné «l'essence même du Canadien pendant plus d'une décennie». On souligne jusqu'à plus soif sa dignité, ses blessures, sa lutte contre la maladie.

Les chroniqueurs sportifs de The Gazette omettent commodément que le leadership du numéro 11 a fait l'objet de nombreux doutes. Par-dessus tout, on se plaît à rappeler comment le Tricolore a bravement refusé de céder à ces maudits «bigots de la langue», tel un chrétien affrontant le martyre plutôt que d'abjurer sa foi.

De nouveau, on fait entorse à la vérité. À sa dernière entrevue, M. Koivu a déclaré qu'il aurait adoré pouvoir parler couramment le français. Mais pourquoi laisser les faits gâcher une bonne histoire?

Un double discours

Saku Koivu ne méritait d'être ni démonisé ni sanctifié. Les médias en général ont souligné son courage, sa ténacité, sa générosité et son attachement à la communauté montréalaise, mais aussi son orgueil et son côté peu rassembleur. Les postes les plus prestigieux du Tricolore sont comme les postes politiques: on ne peut les occuper de longues années sans accumuler les critiques et les reproches. Être humain avec ses qualités et ses faiblesses, Saku Koivu ne pouvait tout simplement pas résister à l'usure du temps.

N'oublions pas la responsabilité de la direction du Canadien. Quand il s'agit de soutirer le maximum de dollars aux amateurs, le club n'hésite pas à jouer à fond la carte identitaire: on ressort la tradition, les racines canadiennes-françaises du club, les Flying Frenchmen, Maurice Richard, «L'histoire se joue ici»...

Évidemment, le public demande alors pourquoi le capitaine ne parle pas français et pourquoi l'alignement des joueurs semble, au chapitre de la représentativité, parfaitement interchangeable avec celui des 29 autres équipes de la Ligue nationale de hockey. Alors, le Tricolore se fait tartuffe et se réfugie dans l'excuse typique: les joueurs sont payés pour jouer au hockey, pas pour faire de la représentation culturelle.

Il est grand temps que le Canadien de Montréal cesse de manger à tous les râteliers. Ou il assume son discours identitaire et envoie ses joueurs à l'Institut Berlitz, ou - ce qui semble plus réaliste - il arrête de charrier les amateurs avec la tradition, les racines et tout le reste, et se cantonne à sa mission: vendre du hockey.

Amatrice de hockey, l'auteure est traductrice et réside à Montréal.