Je veux mourir sous anesthésie. Est-ce trop demander? Vous allez chez le dentiste pour la moindre petite carie et on vous oblige pratiquement à subir une anesthésie locale. Or mourir est un événement autrement plus traumatisant, douloureux et angoissant.

Voici le peu que j'en sais d'expérience. Mon frère aîné est mort d'un cancer du poumon alors qu'il était dans la quarantaine; je lui tenais la main au moment où il a cessé de respirer. Il était à l'hôpital et a eu droit à des soins dits palliatifs. C'est dire qu'à la fin, on a cessé de l'alimenter et de l'hydrater artificiellement et qu'on lui a donné de la morphine en dose croissante jusqu'à l'apnée finale.

 

L'agonie a duré plusieurs jours. Moi je dis qu'au bout du compte mon frère est mort de soif, drogué à mort, lui qui avait une soif inextinguible, ayant été alcoolique toute sa vie, le pauvre, et qui n'avait jamais touché à la moindre drogue.

On aurait voulu le punir qu'on n'aurait pu imaginer mieux. Les derniers jours, il gardait les yeux ouverts parce qu'il n'avait plus la force de fermer les paupières; il respirait de plus en plus difficilement, râlait. Un hoquet a mis fin au puissant réflexe de respirer.

Personne n'est jamais revenu de l'au-delà pour donner son avis sur l'efficacité de nos soins palliatifs. Je pense sincèrement que le verdict ne serait pas très favorable. On connaît le mot d'esprit de Woodie Allen: «Ma mort ne m'inquiète pas. J'aimerais simplement ne pas être là lorsque ça se produira.»

Tout est là. Je veux bien accepter l'idée de ma disparition, la mort est inévitable. Ce que j'accepte moins bien, c'est l'idée de devoir me dégrader inexorablement jusqu'au point de ne plus pouvoir respirer. Si je meurs seul dans un champ avec une balle dans le ventre (je mets les choses au pire), eh bien, je ferai avec.

Mais si je meurs à l'hôpital, je n'exige rien de moins qu'une anesthésie générale. Il n'est même pas nécessaire de remettre en question le principe des soins palliatifs: ce n'est pas un suicide assisté, je vais mourir tout aussi naturellement sous anesthésie qu'avec de la morphine. Mais plus confortablement et peut-être un peu plus vite. Il me semble que ce choix, comme l'épidurale dans d'autres circonstances moins pénibles, devrait être offert au moment où l'on débranche les dispositifs artificiels de survie.