C'est avec consternation que nous apprenons l'annonce par la Fondation Lionel-Groulx du démantèlement prochain de son oeuvre principale, le Centre de recherche Lionel-Groulx (CRLG). Nous ne pouvons accepter la fermeture de cette institution culturelle précieuse, qui a été décrétée sans avertissement et sans consultation.

Avec cette fermeture, le Québec perdrait son seul centre d'archives consacré à l'histoire des idées et du nationalisme. Autour du fonds d'archives et de la bibliothèque de Lionel-Groulx et dans la maison même où a vécu cette figure du monde intellectuel québécois au XXe siècle, le Centre a rassemblé au fil des décennies plus de 70 fonds complémentaires. On y retrouve par exemple les archives d'Henri Bourassa, du Devoir, d'André Laurendeau, de Gérard Filion, de groupes comme les Jeune-Canada, la Ligue d'action nationale, la Ligue pour la défense du Canada, qui éclairent l'histoire du nationalisme et de la vie intellectuelle québécoise durant tout le XXe siècle.

Le rassemblement de ces fonds en un seul lieu a permis l'acquisition d'une expertise tant chez les archivistes qui s'occupent des fonds et guident les chercheurs, que chez les historiens qui fréquentent le Centre.

Lieu de recherche extraordinaire, le Centre est aussi un lieu d'entraide et d'échanges intellectuels. Ce type de collaboration se fait beaucoup plus difficilement dans les grands centres d'archives généralistes. Il ne s'agit pas ici de dénigrer ces derniers, mais de souligner l'importance capitale des petits centres à vocation spécialisée, et la nécessité d'assurer leur existence.

Nous avons tous fait au Centre des trouvailles que nous n'aurions pu faire ailleurs et qui ont enrichi nos travaux. Un nombre toujours grandissant de chercheurs en Amérique et en Europe connaissent et apprécient le Centre, et savent qu'on ne peut faire l'histoire contemporaine du Québec sans y passer un jour ou l'autre.

Dans le monde scientifique, lorsqu'on veut faire avancer la recherche sur un sujet donné, on crée un centre de recherche, ce qui permet de canaliser savoirs, ressources et énergies pour l'avancement de la connaissance. Le CRLG remplit parfaitement ces fonctions et c'est pourquoi son démantèlement annoncé est inadmissible. Même si l'on sauve ses archives en les transférant à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, on perdra une expertise et un milieu de recherche et d'échange d'une rare qualité. La mémoire du Québec s'en trouvera fragilisée.

Ceux qui sont la vie du Centre, les archivistes, bibliothécaires et chercheurs qui l'animent quotidiennement assistent, impuissants et la mort dans l'âme, au démantèlement précipité de l'oeuvre de plusieurs décennies. Tenus à l'écart des délibérations et du processus de décision, ils se demandent pourquoi la Fondation a décidé de poser des gestes irréversibles.

On se demande aussi pourquoi elle a décidé de le faire si précipitamment et derrière des portes closes: plutôt que d'avertir ses soutiens naturels de l'urgence de la situation, ce qui aurait pu déclencher une mobilisation de sympathie, elle a annoncé son intention à la dernière minute et les a mis devant le fait accompli. Avant de commettre l'irréparable, n'y aurait-il pas lieu de lancer une campagne de financement comme celle qui avait permis l'expansion du Centre à la fin des années 70? Enfin, le gouvernement du Québec ne pourrait-il pas, à la veille de notre fête nationale, faire un geste pour sauver cette institution culturelle, historique, patrimoniale et intellectuelle unique?

Le Québec est-il prêt à balayer une partie de sa mémoire et à laisser mourir une autre de ses institutions culturelles?

Yves Bégin, Département d'histoire, Collège Montmorency; Damien-Claude Bélanger, Département d'histoire, Université d'Ottawa; Harold Bérubé, Département d'histoire, Université de Sherbrooke; Charles-Philippe Courtois, Collège militaire royal de Saint-Jean; Michel Ducharme, Département d'histoire, University of British Columbia; Dominique Foisy-Geoffroy, directeur de la revue «Mens»; Xavier Gélinas, conservateur, Musée canadien des civilisations; Mathieu Lapointe, doctorant (histoire), Université York