Dans sa chronique, Alain Dubuc fait sienne une légende urbaine: «Les producteurs agricoles sont tous des BS de l'État.» Nous avions toutefois lancé la première pierre, le lundi précédent, en affirmant qu'il y avait péril en la demeure pour de nombreux producteurs agricoles dans toutes les régions du Québec.

Nous avons posé ce geste parce que notre longue expérience au gouvernement, tous partis confondus, nous indique qu'une grande bataille va bientôt se dérouler en sol québécois pour éviter l'effondrement des piliers de l'agriculture du Québec. Le texte de M. Dubuc confirme nos craintes.

 

Que «les agro-BS» ne s'y méprennent pas, on veut leur tête et les abatteurs peuvent compter sur toutes les forces néolibérales, celles-là mêmes qui ont conduit au marasme économique actuel! Le scénario va-t-il se répéter en agriculture? Accuser tous les agriculteurs d'être des «BS» de l'État, ce serait comme accuser tous les employés du conglomérat Radio-Canada/La Presse d'être à la solde de Power Corporation. Alain Dubuc et Joël Le Bigot même combat. Trop fort ne casse pas!

On n'a qu'à observer ce qui est train d'arriver avec le démantèlement de la Commission canadienne du blé à Ottawa. Le Québec veut emprunter cette voie. Il le fait à pas feutrés parce qu'il doit compter sur la droite économique et la majorité urbaine pour y arriver sans trop de conséquences désastreuses sur son électorat.

Le principe d'une assurance agricole est de procurer une protection aux agriculteurs s'il se produit des accidents climatiques, une épidémie ou d'autres accidents de même nature. À cela, M. Dubuc oppose la légende urbaine qui veut que les producteurs agricoles sèment de la folle avoine pour toucher un chèque d'assurance.

Quand la compagnie d'assurance doit payer des dédommagements, elle trouve toujours ça trop cher. Quand elle collecte les primes, jamais elle ne se plaint. La Financière agricole du Québec a dégagé des surplus pendant cinq des sept dernières années. Voilà que les mauvaises années arrivent et on veut démanteler le programme pour réduire la couverture d'assurance. C'est ça, le néolibéralisme débridé. On encaisse les bonnes années et on se pousse quand l'assurance doit payer.

Le territoire agricole, quant à lui, est grugé peu à peu chaque année. L'appétit des développeurs en région urbaine est sans limites. «Que ces agro-BS aillent paître ailleurs! Nous on est des développeurs d'autoroutes, de centres commerciaux, de maisons, de ports méthaniers et on a besoin de terrain. Pas n'importe lesquels. Les meilleurs pour des fins commerciales et industrielles!»

La volonté que nous percevons, c'est d'assouplir la Loi (langage politically correct, s'il en est) pour faciliter la tâche des municipalités, d'ailleurs à l'origine de plus de 95% des demandes de dézonage. La vérité, c'est que la ville veut laisser tomber la campagne et envahir son territoire.

Quant au mouvement de solidarité de l'UPA. Trop fatigant. Trop puissant. Trop bien organisé. On aimerait mieux une négociation un contre un, et non pas une mise en marché collective. La situation des agriculteurs aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, par exemple, nous apprend des choses: l'individualisme appauvrit. La solidarité, elle, protège les petits d'abord.

Oui, M. Dubuc, nous avons choisi notre camp. La leçon des derniers mois à propos des institutions financières nous a grandement aidés à choisir. Le vôtre n'est évidemment pas celui de la solidarité. Appuyer votre position sur le regroupement de l'Union paysanne confine à la mendicité intellectuelle.

Nous ne croyons pas que les producteurs agricoles soient des «BS». Le terme est méprisant, et les faits ne militent pas en ce sens.

Au moins, la plume de M. Dubuc sert-elle à ceci: lever le voile sur la pensée dominante et les enjeux à venir. La ville a-t-elle laissé tomber la campagne? Le cas échéant, ces «agro-BS» ne devront compter que sur eux-mêmes pour progresser. Or, le meilleur espoir - que ça vous plaise ou non - c'est l'UPA, qui a claironné avec nous qu'elle attend son partenaire à la table de discussion.

Les auteurs sont d'anciens ministres québécois de l'Agriculture. Ils répliquent à la chronique d'Alain Dubuc intitulée «L'agro-BS», publiée le 27 mai.