L'implication du gouvernement américain (et canadien) dans la réorganisation de GM et Chrysler soulève plusieurs interrogations.

On a justifié cette intervention en disant que ces entreprises sont trop importantes pour faire faillite. La vraie question n'est-elle pas plutôt celle-ci: «Pourquoi le contribuable doit-il subventionner deux entreprises qui n'ont pas su répondre aux besoins de leurs clients tout en générant un profit?»

On a aussi dit que de permettre aux deux entreprises de déclarer banqueroute jetterait au chômage des milliers de travailleurs. C'est un argument alarmiste, car souvent les entreprises réussissent leur réorganisation et émergent avec une structure de production plus réaliste pour poursuivre leurs opérations (comme Chrysler après sa première faillite).

 

Mais même si GM et Chrysler disparaissaient complètement comme par magie, le chômage créé ne serait pas permanent: les travailleurs, après une période de transition, se replaceraient. Cette étape de «nettoyage» est salutaire et nécessaire: ce chômage temporaire permet aux acteurs du marché de déplacer ces ressources qui sont mal utilisées à construire des voitures dont on ne veut pas à trop haut coût là vers d'autres activités où elles produiront des biens que les consommateurs veulent.

L'intervention de l'État dans ces deux restructurations aurait aussi permis, selon ses partisans, aux deux entreprises d'obtenir du financement pour survivre pendant la réorganisation. Or, depuis le début de la crise économique, des milliards de dollars ont été prêtés par des prêteurs spécialisés en financement d'entreprises en difficulté et par les actionnaires, fournisseurs, employés et clients de celles-ci. On se demande donc pourquoi GM et Chrysler n'auraient pas pu trouver un tel financement. Si aucun financement n'avait été trouvé, les actifs les plus attrayants des deux compagnies auraient pu être vendus au plus offrant (comme Opel a été vendue à Magna) et les autres actifs dont personne ne voulait auraient pu être liquidés sous la supervision d'un juge de faillite.

Par contre, la présence de l'Oncle Sam a eu comme effet pervers de court-circuiter le processus de restructuration déjà bien établi par les lois d'insolvabilité aux États-Unis. En effet, l'Oncle Sam a décidé de favoriser certains groupes de créanciers au détriment d'autres. Par exemple, le fonds d'assurance-maladie des travailleurs de GM, géré par le syndicat, recevra 39% des actions de la «nouvelle GM» restructurée contre l'annulation de 10 milliards de dettes qui lui étaient dues par GM, alors que les porteurs d'obligations, à qui GM doit 27 milliards, n'en recevront que 10%.

La confiance des prêteurs en l'inviolabilité des contrats et de la règle de droit dans de telles circonstances en a pris pour son rhume! Et chaque fois qu'on augmente l'incertitude et le risque lié à des investissements, on peut s'attendre à ce qu'il y ait moins d'investissements dans l'avenir, donc moins de croissance et moins de prospérité.

Enfin, cette approche interventionniste favorise une attitude de «bien-être social corporatif». Si vous étiez Ford, Toyota ou Honda, ne seriez-vous pas tentés d'appeler au secours de l'État? Et comme investisseur, voudriez-vous acheter des actions de Ford (et Ford pourra-t-elle à l'avenir se financer en émettant des actions?) en sachant que votre concurrent appartient au gouvernement des États-Unis, lequel peut changer les règles du jeu en tout temps en sa faveur?

L'auteur est président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée.