Chacun d'entre nous a déjà expérimenté ce moment formidable où, fredonnant dans une grotte ou une salle de bains particulièrement sonore, une note se met à vibrer soudain quatre fois plus que les autres sans que nous ayons à faire d'effort supplémentaire... Il s'agit là d'une fréquence de résonance particulièrement généreuse de cet espace, et une très bonne salle parvient à recréer ce phénomène sur toutes les fréquences.

Bien des gens, lorsqu'ils vont au concert, pensent qu'ils entendent les instruments des musiciens et que la salle où ils se trouvent n'est qu'un espace où cette activité a lieu. Ainsi, pour une partie de hockey, l'aréna est l'endroit où elle se déroule. La nature intrinsèque du jeu reste inchangée si la partie a lieu sur une patinoire en plein air (je ne parle pas de l'ambiance...).

 

Mais le son que notre oreille perçoit possède plusieurs qualités qui le différencient de la vision. D'abord, il se déploie dans un médium continu - l'air - et voyage avec plus ou moins de difficulté selon la résistance de ce dernier (et l'itinéraire de ce voyage). Les notes produites par la flûte enchanteresse de Tim Hutchins effectuent un pèlerinage continu de son instrument jusqu'à notre oreille. Le son rencontrera des obstacles, se réfléchira sur diverses surfaces, se dispersera ou se concentrera avant de nous parvenir, soit amplifié, distordu ou atténué, selon l'acoustique de la salle de concert et sa configuration.

Le musicien fait d'abord résonner la colonne d'air de sa flûte (ou la caisse de résonance sous les cordes de son violon). Mais en fait, cette vibration n'est que la racine, le germe d'une résonance beaucoup plus importante, celle de l'air de la salle autour de lui! Un bon instrument dans une mauvaise salle, c'est un peu comme une guitare électrique non connectée: elle reste une sorte de planche de bois sans vie...

Jusqu'ici, il n'a été question que d'un seul instrument, et les lois qui régissent la transmission du son sont déjà fort complexes. Les choses deviennent encore beaucoup plus compliquées si on parle de l'interaction entre plusieurs instruments.

Il est faux de penser que les musiciens d'un orchestre ajoutent leurs sons les uns aux autres de façon additive, tel un gigantesque sandwich sonore... Non, chaque instrumentiste module la grande vibration collective en fonction de ce qu'il conçoit comme la résonance idéale (engendrée par son imagination musicale). Tous varient leur justesse, leur volume ou leur timbre en temps réel en une infinité de nuances afin de sculpter, de concert avec leur chef, le résultat final, qui, lui, demande un espace sonore adéquat pour s'épanouir: une salle de concert à l'acoustique remarquable!

L'OSM est sans conteste un ensemble aux qualités formidables que j'ai entendu de mes propres oreilles triompher dans chacune des grandes salles européennes lors de sa récente tournée (avril 2009). Les très longues ovations et les critiques dithyrambiques en ont chaque soir témoigné.

Si les mélomanes de Montréal avaient pu entendre leur orchestre dans le Wiener Konzerhaus ou dans le Palau de la musica, à Zaragoza, ils auraient été renversés par la netteté des détails, la chaleur de l'enveloppe vibrante, la différenciation des plans, la clarté des couleurs orchestrales, le pur volume sonore et la beauté des instruments et de leurs vedettes.

Ces amoureux de musique pourront enfin l'entendre, car l'Adresse symphonique de l'OSM sera bien plus qu'une nouvelle salle; elle sera pour lui un nouvel instrument comme, pour le violoniste virtuose, le stradivarius dont il vient de se doter et qui le fera enfin briller à sa juste valeur!





L'auteur est professeur à la faculté de musique de l'Université de Montréal. Il a été pendant les trois dernières années chef en résidence de l'OSM et, à ce titre, bras droit de Kent Nagano.