Quelque 350 membres de l'Association des économistes québécois se sont réunis la semaine dernière pour leur congrès annuel, pour discuter du rôle des grandes villes comme locomotives de développement économique et y ausculter plus spécifiquement l'état de santé de Montréal. Une trentaine de conférenciers, d'ici et d'ailleurs, sont venus alimenter la réflexion des participants sur comment guérir l'anémie structurelle de l'économie de Montréal qui l'empêche de jouer son véritable rôle de moteur économique du Québec.

On ne reprendra pas le diagnostic qui s'est dégagé des discussions et qui est familier. Parmi les grandes métropoles d'Amérique du Nord, Montréal se situe au dernier rang quant au revenu par habitant et l'écart continue de s'agrandir. Les Montréalais acceptent cette performance économique médiocre confortés par ce qu'ils pensent être une excellente qualité de vie. Mais Montréal n'a plus le monopole des cafés sympathiques. Plus d'un participant a souligné que plusieurs autres grandes villes d'Amérique du Nord offraient une aussi bonne sinon meilleure qualité de vie, hiver en moins.

 

Comme l'a rappelé Robert Lucas, Prix Nobel d'économie, qui a ouvert la conférence, les idées sont les véritables moteurs de la croissance économique, car elles sont au coeur de l'innovation. Or l'innovation émerge surtout dans la grande ville, parce que c'est là que l'on retrouve une forte concentration de ceux par qui l'innovation vient, la «classe créative», pour reprendre l'expression de Richard Florida, un des grands experts de l'heure sur les villes et qui était aussi conférencier.

La capacité d'une ville à attirer et à stimuler cette classe créative est devenue le facteur déterminant pour la croissance économique, bien loin devant des facteurs traditionnels comme la qualité des infrastructures et la localisation géographique. Mais la performance des grandes villes sur ce nouveau facteur varie grandement, certaines villes étant beaucoup plus accueillantes et offrant de meilleures conditions d'innovation.

Ces conditions sont structurelles et non pas conjoncturelles. Elles ne se prêtent pas à des transformations rapides. Les conditions qui ont graduellement poussé Montréal au dernier rang des grandes villes nord-américaines sont profondément ancrées dans la réalité montréalaise et les changer sera un travail de longue haleine. Ceci ne pourra se faire que sur la base d'un large consensus sociopolitique qui soutiendra des changements en profondeur, sur les trois dimensions qui font de grandes villes.

La forte créativité que l'on reconnaît au milieu montréalais repose sur la dualité culturelle qui baigne Montréal et nous y expose à un foisonnement d'idées amenées par la rencontre quotidienne des influences nord-américaines et européennes sur le territoire, une situation unique en Amérique du Nord.

Montréal est structurellement différent et par ce fait attirant pour ceux qui aiment la différence et ceux qui s'alimentent à la différence. Mais nous gérons mal cet avantage inné, et rien n'illustre plus notre incompétence à cet égard que le sous-financement de nos universités. Nous nous vantons sans cesse de compter cinq universités, mais nous avons un taux d'obtention de diplome effectif dans notre population qui est très bas. Nous avons les droits de scolarité parmi les plus bas d'Amérique du Nord, mais nous oublions qu'il y a corrélation négative entre les droits de scolarité et le taux de participation universitaire.

Cette année, pour la première fois de tous les temps, il se dépensera plus à Toronto en R&D universitaire qu'à Montréal. En somme, sur cet avantage comparatif historique de Montréal sur le point de devenir chose du passé, tout ça parce que nos politiciens provinciaux, tous partis confondus, tergiversent lorsqu'il s'agit d'assurer un cadre financier adéquat à nos universités.

C'est sur cette dimension que la sous-performance de Montréal est la plus criante. Une ville mal organisée ne peut offrir à ses résidants et ses entreprises un cadre fonctionnel adéquat. En s'organisant mal, Montréal se met des contraintes de développement totalement inutiles. Deux malaises en particulier ont été soulignés par un grand nombre d'intervenants: la gouvernance politique régionale et le cadre fiscal. Les carences de la gouvernance se retrouvent à de multiples niveaux: la structure des arrondissements, les pouvoirs de la ville, les relations entre la ville centre et la banlieue, etc.

Par ailleurs, la dépendance de Montréal sur l'impôt foncier est unique parmi les grandes villes d'Amérique du Nord, car l'impôt foncier ne correspond pas à l'évolution des besoins des grandes villes. Au lieu de donner à Montréal un cadre fiscal adéquat, comme partout ailleurs en Amérique du Nord, le gouvernement du Québec préfère régler les impasses fiscales de Montréal à coup de crise et de transferts spéciaux. Ne blâmons pas les «Anglais» pour ce qui nous arrive! (...)

Les auteurs sont respectivement associé fondateur du groupe Secor et vice-président principal, finances et investissement stratégique à CGI. Ils ont présidé le congrès annuel de l'Association des économistes québécois, qui avait lieu à Montréal la semaine dernière.