La médecine moderne nous a fait oublier les épidémies désastreuses qui ravageaient jadis les populations de façon régulière. La peste, le choléra, la variole frappaient tous les continents sans discrimination, tel un métronome.

Pour la plupart d'entre nous, ce genre d'épidémie a été relégué aux livres d'histoire et notre mémoire collective ne peut se rattacher à un événement historique précis qui nous tracerait un parallèle. La pandémie d'influenza, encore connue sous le nom de grippe espagnole, qui a affecté le monde entre 1918 et 1920, a fait, selon les estimations, entre 30 et 50 millions de morts.

 

Ce fut en fait la première vraie pandémie qui est, par définition, une épidémie à l'échelle planétaire (qui affecte au moins trois continents). Des moyens de transport relativement efficaces, des conditions de vie et d'hygiène précaires, une guerre mondiale et une révolution russe ont certainement contribué au taux de mortalité élevé: de 1 à 2% des cas soit plus de 10 fois la mortalité habituelle de l'influenza saisonnier (environ 1 sur 1000).

Le SRAS nous a ramenés à l'ordre en 2003, nous illustrant qu'en dépit de notre technologie et de notre savoir-faire, une société avancée comme la nôtre peut rapidement sombrer dans la panique et la désorganisation. Et pourtant, dans la région de Toronto, le SRAS n'a jamais eu de transmission communautaire, il a toujours été contenu dans le système de santé. Imaginons quelle aurait été la réaction de la population canadienne si le SRAS avait frappé de façon indiscriminée la communauté au sens large?

Le propre des maladies infectieuses est de frapper n'importe qui, n'importe quand et à n'importe quel moment, et c'est cette particularité qui induit une peur démesurée dans la population, mais aussi une nécessité d'intervention rapide, coordonnée et massive des autorités médicales.

L'attention récente apportée par les médias, mais surtout par les institutions scientifiques telles que le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), au virus de l'influenza porcin H1N1 démontre l'importance potentielle du fléau à venir.

Dans certains pays en développement, la cohabitation intense en zone rurale entre les animaux (porcs et volaille) et les humains favorise l'échange de matériel génétique entre les souches de grippe humaines et animales. Ces recombinaisons fréquentes vont être à la source des modifications parfois importantes qui apportent de nouvelles souches associées à des cycles plus sévères de la maladie. Les fortes densités de population des grands centres urbains de la planète, et la facilité des voyages contribuent également à une propagation rapide du virus.

Une pandémie doit rencontrer certains critères de base: elle doit être causée d'une part par une nouvelle souche dont la transmission interhumaine est assez efficace, et d'autre part affecter une population peu préparée au nouveau venu d'un point de vue immunitaire.

Des progrès importants

Sommes-nous prêts à affronter une pandémie? En fait nous ne le serons jamais complètement, mais nous sommes certainement bien mieux outillés qu'au moment où le SRAS a frappé la planète. Des progrès importants ont été réalisés au Canada en matière de surveillance, de système d'alerte, de soutien des laboratoires et, surtout, nous avons observé un changement des mentalités à l'égard de la lutte contre les maladies infectieuses.

Quant aux moyens pour combattre une pandémie de grippe porcine, il est clair qu'il n'existe aucun vaccin efficace actuellement et que la mise au point et la production de celui-ci prendra au moins plusieurs mois. L'utilisation de médicaments antiviraux efficaces et offerts en traitement et en prophylaxie sera certainement la clé de voûte qui nous permettra de passer la phase critique initiale d'une pandémie. C'est d'ailleurs sur quoi repose la stratégie des autorités mexicaines qui ont réagit de façon exemplaire jusqu'à maintenant.

Le virus de l'influenza se transmet par de grosses gouttelettes qui voyagent sur une distance de trois à six pieds environ, à partir du cas index. Des mesures de prévention des infections mettant l'accent sur l'étiquette respiratoire, le lavage des mains et le port d'un masque devront être scrupuleusement et impérativement suivies pour réduire les conséquences d'une pandémie.

Conséquences gigantesques

Une pandémie massive causée par le virus de l'influenza porcin H1N1 aura des conséquences humaines, sociales, économiques et politiques gigantesques. L'économie de la planète déjà éprouvée connaîtra des moments très difficiles en cas de pandémie. L'impact du SRAS, pourtant limité en matière d'éclosion et de temps, a coûté 70 milliards de dollars à l'économie mondiale. Mais l'histoire nous a aussi appris que la peste noire qui a frappé l'Europe entre 1349 et 1351 a été un catalyseur de la Renaissance en réorganisant l'économie et la société dans son ensemble.

Seule une préparation exhaustive, et minutieuse, presque militaire de notre système de santé pourra limiter les dégâts humains et matériels d'une pandémie semblable à celle de 1918. La lutte contre les maladies infectieuses, c'est à la fois la science de Pasteur, Koch et Fleming, et les concepts stratégiques de Von Clausewitz et Napoléon: vitesse, vitesse, vitesse... dans notre intervention.

L'auteur est micro- biologiste-infectiologue à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et professeur titulaire de clinique à la faculté de médecine de l'Université de Montréal.