Lettre au président de la Fédération des médecins spécialistes, Gaétan Barrette.

Monsieur, je m'adresse à vous car j'ai un os coincé dans la gorge. Puisque vous êtes médecin spécialiste et en plus porte-parole de votre fédération, j'espère que vous pourrez m'aider à ravaler.

Précisons d'abord que mon mal a commencé quand, il y a quelque temps, au terme de vos pourparlers et moyens de pression, vous avez eu gain de cause auprès du gouvernement: vos conditions salariales ont été revues à la hausse.

 

Vos menaces d'aller exercer ailleurs, à Toronto par exemple, où les salaires étaient plus élevés qu'ici, ont dérangé ma déglutition. Le coût de la vie, les logements, et j'en passe, sont beaucoup plus élevés là-bas; il m'apparaissait aller de soi que les rémunérations y soient plus élevées. Vous brandissiez haut et fort ces «inégalités de traitement» qui n'en sont pas, car vos comparaisons entre l'Ontario et le Québec ne sont pas pertinentes.

Ce sont les infirmières qui, prioritairement, auraient dû recevoir une augmentation de salaire. Qu'on se rappelle comment on a traité les infirmières au terme de leur dernière grève. Leur statut et leur pouvoir ne pèsent pas aussi fort que les vôtres dans l'échelle de la reconnaissance sociale. C'est là que le bât blesse.

La semaine dernière, vous reveniez à la charge en prétendant que la nouvelle entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre pourrait amener des médecins québécois à aller pratiquer en Ontario, là où la rémunération est plus intéressante. Pouvez-vous m'expliquer ce que signifie cette obsession pécuniaire? Agiter à chaque occasion le spectre d'un éventuel exode de médecins «appelés» par des salaires plus élevés m'apparaît un geste dépourvu de conscience sociale et d'éthique professionnelle.

Il devrait y avoir une clause dans le contrat des médecins, généralistes et spécialistes, les engageant à payer leur dette envers l'État qui a déboursé pour eux des sommes considérables au cours de leurs études. Avant de menacer de quitter le Québec, chaque médecin devrait assurer des années de pratique équivalentes au moins à ce qui a été dépensé pour sa formation. Ce serait tout simplement un juste retour des choses. La menace de l'exode, la panacée du système privé (comment les mêmes effectifs divisés en deux systèmes peuvent-ils garantir une amélioration du système public en santé?), un beau gros CHUM universitaire qui naîtra peut-être au moment même où on nous enterrera ne sont que placebos.

Il n'y a pas assez d'infirmières, trop de lits sont fermés, les conditions à l'intérieur des murs sont souvent à la limite du supportable? Qu'attendez-vous pour exiger que l'on soigne concrètement par la base un milieu qui souffre dangereusement? Qu'attendez-vous pour utiliser davantage votre tribune et votre pouvoir en vue du mieux-être du système à l'intérieur duquel vous oeuvrez?

Et pourtant, malgré l'attitude et les prises de position de certains d'entre eux, il est évident que beaucoup de médecins pensent d'abord à la santé et au bien-être de leurs patients. On en voit beaucoup. Ils travaillent sans compter, on le sait. On les apprécie énormément et l'on ne les remercie jamais assez. On ne veut pas les perdre. Mais ceux-là, on ne les entend pas beaucoup, et ce sont eux qui devraient prendre la parole.

M. Barrette, ainsi que tous ceux que vous représentez, je vous pose à nouveau ma question: «Y a-t-il un spécialiste dans la salle?»

On a toujours soutenu que ceux et celles qui étaient choisis pour des études en médecine possédaient des cerveaux «supérieurs» à la moyenne. Alors, dites-moi, y a-t-il un lien entre le cerveau et le coeur, le coeur humain j'entends, celui qui bat de l'aile, trop souvent et plus souvent qu'à son tour, injustement, économiquement et socialement parlant?

Johanne Mongeon

L'auteure est une enseignante en littérature à la retraite.