Le Québec entier a été bouleversé d'apprendre une fois de plus, la semaine dernière, le meurtre d'une femme victime de violence conjugale. Plusieurs des témoignages entendus jusqu'à maintenant font état d'une surprise, d'une incompréhension, car ce couple était perçu par ces témoins comme «sans histoire». Leur séparation aurait été l'élément déclencheur d'une violence jusqu'alors inexistante. Est-ce vraiment le cas?

Sans vouloir dévoiler les confidences reçues par les intervenants des différentes ressources, pour Jinane Ghannoum comme pour plusieurs femmes, la dynamique de violence conjugale s'était installée bien avant la séparation.

 

Pour une victime, quitter le conjoint est une façon de se soustraire à la violence et de reprendre du pouvoir sur sa vie. S'il est vrai que la violence persiste après la séparation, et que les risques qu'elle s'envenime dans les jours, les semaines et les mois qui suivent cette étape sont élevés, nous aurions tort de croire que c'est à ce moment que tout s'enclenche. Des milliers de femmes que nous avons côtoyées au cours de nos années d'intervention nous ont confié qu'avant même d'envisager la fin de leur union, le vécu de violence était déjà lourd.

Les témoignages entendus ont également mis en lumière le fait que, même si les victimes vont chercher de l'aide et dévoilent leur situation à certaines personnes, ce n'est pas la majorité de l'entourage ni du voisinage qui est au courant de ce qui se passe dans l'intimité d'un couple. Cela démontre qu'encore aujourd'hui, la violence conjugale demeure taboue et qu'il est difficile de briser le silence. Quand les femmes le font, elles doivent faire preuve de beaucoup de courage pour affronter les préjugés, les réactions de leur entourage et la pression de la communauté. On ne le répètera jamais assez, les femmes ne sont pas responsables de la violence qu'elles subissent et rien ne justifie un acte comme celui-là.

Aujourd'hui, de nombreuses unions se terminent par une séparation ou un divorce et, fort heureusement, la très grande majorité d'entre eux ne connaîtront pas un dénouement aussi dramatique. Quand c'est le cas, par contre, les médias tout comme l'ensemble de la population, ont le devoir de se questionner, d'analyser la situation dans son ensemble bref, d'aller au-delà des apparences.

Beaucoup d'argent, de travail et d'énergie ont été investis dans les dernières années pour contrer la violence conjugale au Québec. Le meurtre de Mme Ghannoum démontre toutefois que, comme société, beaucoup de travail reste à faire pour que l'ensemble des acteurs qui interviennent auprès des agresseurs et des victimes, plus particulièrement les décideurs judiciaires, soient en mesure d'évaluer la dangerosité de chaque cas et ainsi assurer la sécurité de ces personnes. Si les campagnes de sensibilisation affirment que la violence conjugale est inacceptable, il faut poursuivre le travail entamé pour que ce ne soit pas que de belles paroles, mais bien un message clair et cohérent qui soit porté par tous. Cette prise de position collective doit être assortie de conséquences sérieuses pour les contrevenants. Il est important de rappeler que des ressources existent partout au Québec et qu'elles peuvent vous venir en aide. Si vous êtes inquiets pour votre sécurité ou celle de vos proches, n'hésitez surtout pas à les contacter.

Finalement, en tant qu'intervenantes lavalloises, nous souhaitons souligner à quel point nous sommes attristées par ce drame et que nos pensées accompagnent la famille et tout spécialement les trois enfants endeuillés.

Chantal Arseneault, Pascale Bouchard, Marie-Claude Côté et Jenny Godmer

Les auteures sont responsables des maisons d'aide et d'hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale et du centre d'aide aux victimes d'acte criminel (CAVAC) de Laval.