Les six derniers mois ont été pour le moins étonnants. Nous sommes témoins de changements économiques et géopolitiques qui redéfiniront le monde. La réunion du G20 à Londres, le 2 avril, marquera ce changement de cap.

Le premier ministre Stephen Harper devrait s'y présenter fier de la prudence affichée par le Canada en matière d'économie et fier du fait que la nature même du G20 a des origines canadiennes, étant issu du G20 des ministres des Finances conçu lors d'une crise antérieure par Paul Martin. En effet, Paul Martin, devenu premier ministre, et moi, alors que j'étais son ministre des Affaires étrangères, avons promu le concept du G20 des leaders.

 

J'estime que le Canada devrait faire plus à Londres qu'appuyer l'élargissement du G8 au G20. L'histoire et le développement du Canada nous ont préparés de façon unique à la crise économique actuelle, et nous devons nous affirmer en tant que chefs de file dans les actions visant à réformer l'ordre géopolitique mondial. Bref, le temps est venu pour le Canada de se démarquer.

Conscience et confiance

L'histoire du progrès tient à la relation d'équilibre entre la confiance et la conscience. La confiance, ou l'esprit, le caractère, peut être représentée par le marché, dont l'échéancier est immédiat et les centres d'intérêt sont l'efficacité et les profits. La conscience, ou l'éthique, est représentée par l'État, entité abstraite dont le but principal est d'atteindre la légitimité par ce qui est juste, raisonnable, équitable, et qui fait une utilisation privilégiée des contraintes.

Le développement économique moderne a débuté aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne il y a quatre siècles, lorsque leurs gouvernements ont garanti le droit de propriété et créé des marchés nationaux plus grands. La surveillance de l'État et la primauté du droit ont entraîné une croissance économique sans précédent.

Lorsque la conscience se dissipe, le degré de confiance s'effondre. Comme nous pouvons clairement le constater, le consensus de Washington et son programme visant à changer l'ordre mondial en procédant à des expériences de libéralisation, de privatisation et de déréglementation n'ont pu consolider les libertés des citoyens, ni préserver la nature même des marchés. Heureusement, le Canada de Pierre Trudeau a rejeté cette approche et vu à ce que le gouvernement joue un rôle constructif.

Après la chute du mur de Berlin, la confiance a laissé place à l'exubérance et à l'arrogance dans la majeure partie du monde, alors que l'éthique et la conscience se sont évaporées, laissant un vide qui allait être comblé par la cupidité. L'automne dernier, après 30 ans, nous avons vu l'effondrement de l'ère Thatcher-Reagan.

Une nouvelle civilisation

Si la modernité a entraîné une éthique de justice, nous devons aujourd'hui découvrir une éthique de l'altérité, de soin. Je suis convaincu que nous devons bâtir une nouvelle civilisation, dépourvue du fantasme de l'argent facile et des valeurs artificielles.

Le vieux modèle du G8 doit faire place au G20, pour indiquer clairement aux économies émergentes comme le Brésil, la Chine et l'Inde leur statut dans ce nouvel ordre mondial. Alors que 16 pays se dirigent vers la faillite, la tâche la plus urgente du G20 consiste à renforcer de façon considérable le Fonds monétaire international (FMI) - le fait que les droits de vote du Canada au sein du FMI sont équivalents à ceux de la Chine démontre la nécessité de procéder à une réforme.

Le G20 doit également réactiver le rôle de la Banque mondiale. Les membres du G20 doivent dénoncer le protectionnisme et donner un mandat fort à leurs ministres du Commerce de conclure enfin le Cycle de Doha de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Pour réagir aux origines de la crise économique, les Européens du continent peuvent chercher à codifier un nouveau régime de règles internationales strictes, ce qui les place à l'opposé des Anglo-Saxons, qui se méfient des pouvoirs supra-nationaux. Puisque nous avons l'expérience des deux systèmes judiciaires de la common law et du Code civil, le Canada peut trouver la voie d'un compromis, en faisant la promotion de règlements nationaux responsables, d'une meilleure coordination internationale et surtout d'un changement de ton chez les dirigeants mondiaux.

Je suis convaincu que nous entrons dans une nouvelle ère de civilisation; une civilisation postmoderne, dirigée par le premier président américain postmoderne, où les pays émergents et leurs chefs d'État auront plus d'influence. Je veux que les Canadiens et Canadiennes soient au coeur de ce changement, en guidant le monde vers une réconciliation de l'esprit et de l'éthique, c'est-à-dire entre la confiance et la conscience.

Pierre S. Pettigrew

L'auteur est conseiller de direction, International, chez Samson Bélair/Deloitte