La Russie engrange les dividendes de la guéguerre politique et stratégique qu'elle livre aux Occidentaux depuis maintenant deux ans. Du fameux discours de Vladimir Poutine en Allemagne, en février 2007, où il accusait les Occidentaux d'avoir exploité les faiblesses de son pays après l'effondrement de l'URSS, jusqu'à la déclaration il y a quelques jours de son successeur Dmitri Medvedev, annonçant le réarmement de son pays face «aux tentatives incessantes de l'OTAN de développer ses infrastructures militaires près de la Russie», en passant par la guerre avec la Géorgie l'an dernier, la volonté de ne plus se faire bousculer et de reprendre le terrain perdu est clairement affirmée. Les petites victoires russes se succèdent, et l'Occident en porte une partie de la responsabilité.

La Russie, disent Poutine et Medvedev, a été trop longtemps tenue pour quantité négligeable, particulièrement dans les cercles du pouvoir à Washington. C'est à la fois vrai et faux. Au lendemain de la débâcle idéologique et économique du système communiste, l'empire soviétique s'est littéralement liquéfié, ouvrant ainsi aux puissances occidentales un véritable passage où les États-Unis et l'OTAN se sont rapidement engagés.

 

À marche forcée, l'Alliance atlantique s'est élargie en repoussant ses frontières de plus en plus à l'est, au point de s'installer aux portes de la Russie. En 2001-2003, ce que Moscou considère comme un encerclement s'est accéléré avec l'installation de bases et le déploiement de troupes en Asie centrale, en Afghanistan et en Irak. Sans le dire ouvertement, et peut-être inconsciemment, l'Occident a resserré l'étau sur la Russie en recréant ou en renforçant, souvent de manière informelle, le cerceau d'alliances qui avait ceinturé l'ancienne Union soviétique dans les années 50. Il n'en fallait pas plus pour provoquer au Kremlin le sentiment qu'on reproche toujours aux Russes depuis un siècle: la paranoïa.

La Russie a toutefois la mémoire courte. Dans les moments de grande détresse, comme ce fut le cas au début des années 20 lors d'une grande famine, puis pendant la guerre contre les nazis, l'Occident n'a pas ménagé son aide après la chute du Mur de Berlin. Des milliards ont été investis dans le tourisme, les transports, les infrastructures, la dépollution et même l'élimination de certaines armes nucléaires. Des intérêts bien sentis ont motivé ces actions, mais aussi le souci de soulager la détresse des Russes et d'éviter le chaos.

De ce côté-là, la Russie n'a quand même pas été maltraitée. Après tout, grâce aux investissements européens dans les hydrocarbures, la Russie contrôle aujourd'hui 75% des approvisionnements en gaz et en pétrole vers l'Europe. Un puissant moyen d'influence que Moscou ne se gêne d'ailleurs pas d'utiliser ces temps-ci.

C'est plutôt sur le plan militaire que les Occidentaux ont fauté et provoqué la colère des Russes. L'administration Bush s'est particulièrement illustrée dans son rôle de provocateur. La décision de déployer des éléments du bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, l'aide militaire directe à la Géorgie, les petites combines visant à déstabiliser certains pouvoirs en Asie centrale, toutes ces actions visant à affaiblir la Russie n'ont finalement abouti qu'à la réveiller.

Le bilan? Globalement négatif: la Géorgie a perdu le tiers de son territoire, les bases occidentales sont expulsées d'Asie centrale, les Iraniens jouent Moscou contre Washington dans le dossier du nucléaire, et le gouvernement tchèque vient de perdre toute crédibilité en retirant son projet de soumettre à un vote du Parlement l'accord sur le bouclier antimissile, un système aussi illusoire qu'inopérant, signé en toute hâte avec l'ami George W. Bush.

Pour autant, il n'y aura pas de nouvelle guerre froide. La Russie ne fait pas le poids et n'en veut pas. Elle cherche sa place, dans les premiers rangs. À Washington, Londres et Paris, il semble qu'on l'ait compris. En ces temps de turbulences, l'accommodement ne sera pas une abdication.

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix affilié au CERIUM de l'Université de Montréal.